lundi 15 mars 2010

L'Homme qui rit - Victor Hugo - 1869




Victor Hugo - longtemps je ne l’ai pas supporté. Je trouvais qu’il faisait un peu trop son Victor Hugo - c’est ce qui fait son charme, et même tout son intérêt diront certains. Je le trouvais un peu too much, trop «foule en délire».

Et il est partout et a un avis sur tout. On ouvre une anthologie de théâtre, il est là. De poésie, il est là. De littérature, il est là. Et même dans les livres d’histoire ! Chez Disney. Sur des pubs Acadomia. Dans des comédies musicales. Au Panthéon.


L’Homme qui rit est le roman qui m’a réconciliée avec Hugo. J’étais attirée par cette histoire de sourire étrange. Tout ce qui m’horripile chez lui y est porté à son paroxysme, et fonctionne ! Donc bien sûr j’ai souvent eu la tentation de balancer le bouquin, bien sûr j’ai sauté plein de pages.

Malgré tout, j’étais éblouie : c’est sublime.

Le pitch, bien sûr.

Dans l’Angleterre du XVIIè siècle, un saltimbanque-philosophe-ventriloque nommé Ursus recueille deux enfants venus frapper à sa porte une nuit de tempête. L’un, Gwynplaine, arbore un rire perpétuel sur son visage du fait d’une mutilation des lèvres. Si vous voulez, le Joker de Heath Ledger pourrait lui ressembler assez. Ce serait même super intéressant de les comparer.


L’autre enfant, Déa, est aveugle, et illumine par sa beauté. Ils s’aiment.

Tous les trois accompagnés de leur loup, Homo, vivent de leurs spectacles et de « l’Homme qui rit » qui attirent foule. Durant l’hiver 1704-1705 ils arrivent à Londres.


Ce roman rencontra l’incompréhension à sa parution. Il est vrai qu’il est dérangeant, fondé qu’il est sur l’antithèse (ce qui apparaît dans le titre même, on ne peut plus ironique). Cette épopée réconcilie lumière et ténèbres, beauté et laideur, bien et mal, sensualité et pureté, sarcasme et exaltation, or et misère. Cette bizarrerie, cette ambivalence, cet équilibre instable des contraires donne une dimension très baroque à l’écriture hugolienne. Bien sûr, c’est magnifique, mais comme d’habitude il ne sait pas s’arrêter et ça peut devenir agaçant même si ça fait partie du truc. Ca dépend de votre humeur en fait. Ouvrons une page au hasard : « Son existence, telle qu’elle était, était le résultat d’un double choix inouï. C’était le point intersection des deux rayons d’en bas et d’en haut, du rayon noir et du rayon blanc. La même miette peut être becquetée à la fois par les deux becs du mal et du bien, l’un donnant la morsure, l’autre le baiser. Gwynplaine était cette miette, atome meurtri et caressé. Gwynplaine était le produit d’une fatalité compliquée d’une providence. Le malheur avait mis le doigt sur lui, le bonheur aussi . Deux destinées extrêmes composaient son sort étrange. Il y avait sur lui un anathème et une bénédiction etc»

Certaines scènes du roman où on voit l’homme en prise avec l’immensité, touchent au sublime, inspirant à la fois terreur et fascination. La scène de la tempête en mer et sur terre est éblouissante, véritable et immense Turner de cauchemar. La scène où Ursus mime une foule pour tromper Dea (allez voir pourquoi) est un des plus beaux moments du livre : « Alors Ursus devint extraordinaire. Ce ne fut plus un homme, ce fut une foule. Forcé de faire la plénitude avec le vide, il appela à son secours une ventriloquie prodigieuse. Tout l’orchestre de voix humaines et bestiales qu’il avait en lui entra en branle à la fois. Il se fit légion. Quelqu’un qui eût fermé les yeux eût cru être dans une place publique un jour de fête ou un jour d’émeute…. »

La richesse et la diversité incroyable des mots touche à la fois les noms communs et les noms propres dans une multitude de langues, qu’elles soient modernes ou classiques. On y trouve des termes très techniques de marine, de musique, des références à des divinités antiques, à d’illustres inconnus, à des lords, et j’en passe.
On retrouve cette langue dans le personnage misanthrope d’Ursus, qui parle beaucoup, peut-être même un peut trop. En lui se retrouve tout le langage humain et même animal, langage qui paradoxalement n’en est pas un car Ursus n’a pas pour but de communiquer. La complexité du langage semble donc se suffire à elle-même, et apparaît comme faisant partie du décor, un immense cabinet de curiosités.
Ainsi j’ai lu sans tout comprendre, et je pense que ce n’est pas plus mal, puisque ces objets étranges qui nous échappent font partie de la beauté bizarre et baroque de l’œuvre. Et puis surtout, c’est chiant d’aller lire toutes les notes. On a assez à faire avec les quelques sept cent pages du livre (je ne vous avais pas dit ?).

« L’Homme qui rit » est aussi une œuvre métaphysique et politique. (Il sait tout faire je vous dis !) Métaphysique car il est une réflexion sur le bonheur terrestre et le destin, l’amour charnel et l’amour pur, l’aspiration au ciel et le vertige de l’immonde.
Politique (publié en 1869, sous le Second Empire, et Hugo est encore en exil) car il dénonce le décalage entre les nobles et le peuple dans une société fondamentalement inégalitaire. Il rend compte de l’aveuglement, de la surdité volontaires des puissants qui rient lorsque l’Homme qui rit s’insurge contre cette inégalité et finit, impuissant, par éclater en sanglots.
Et surtout, il dit comment la parole de l’artiste, vaine en apparence, est en réalité prophétie.


(Billet importé de mon ancien blog et remastérisé, mais si peu)

6 commentaires:

  1. Je me ferai bien un ou deux Hugo pendant les semaines à venir, et je ne crois pas connaître celui-ci, alors que j'ai eu une période Hugo il y a trèèès longtemps...

    Et bon voyage !

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  2. Je ne classe pas Victor Hugo et pourtant, j'ai adoré "Le dernier jour d'un condamné", dévoré "Quatrevingt-treize" et je voue un culte à "Notre Dame de Paris" .... Vas comprendre????
    Je note celui-là qui me fait de l'oeil depuis un bon bout de temps!

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  3. Encore moi!
    J'ai oublié la moitié d'une phrase (pourquoi pas?)
    " Je ne classe pas V.H dans mes chouchous ultimes ... " ... Voilà rectification faite!

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  4. Dès la première ligne, je savais que c'était une rediffusion - comment oublier le "Je trouvais qu’il faisait un peu trop son Victor Hugo" ? J'adore. Je suis fan. ;-)

    Et j'ai toujours pas lu ce roman, ce qui craint sacrément de la vie, mais j'y pense souvent, c'est déjà ça, un premier pas vers ma kulturisation (mais c'est un pas assez lent, je le reconnais).

    Je ne te remercie pas pour Heath Ledger, qui me terrorise en Joker, ah non mais regardez-moi cette bouche, je ne vais pas en dormir de la nuit.

    Tu as continué à lire Hugo, depuis ? Entre nous, je crois qu'il le mérite.

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  5. Lilly, j'espere que tu t'es laissee tenter! :)

    Romanza, je n'ai lu que celui ci, et j'ai commence ND de Paris, mais j'ai ete obligee d'abandonner faute de temps. Je suis sure que l'Homme qui rit devrait te plaire, vu qu'on a souvent les memes gouts je trouve! :)

    Erzie, elle est terrible cette photo, n'est-ce pas? hahaha Cool, tu te souviens de mon billet sur kanalblog? Ca me fait bien plaisir! Enfin, moi, j'ai toujours ton billet sur ND de Paris en tete. Je l'avais commence, mais j'avais pas pu le continuer (le livre, pas le billet). Je devrais vraiment le reprendre. Allez, lance toi dans l'Homme qui rit, je suis sure sure sure qu'il te plaira!! :)

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  6. Ce n'est pas une période baroque mais celle du Romantisme ! Hugo aura été l'un des plus grands pour cette période, inventera un nouveau genre théâtrale !

    Cette oeuvre a tout d'un genre romantique, contraste entre le beau et le laid, heureux et mélancolique , l'amour et la mort.

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