jeudi 7 janvier 2010

Au Coeur des ténèbres (Heart of Darkness) - Joseph Conrad - 1899


Le livre nous mène à l’aventure dans un monde étrange et exotique dès les premières pages qui se déroulent à Londres au XIXè siècle.

(J’ai utilisé Londres et exotique dans la même phrase !)

En effet, la Tamise est comparée au fleuve Congo, sur lequel Marlowe navigue plus tard dans le roman. On se rend compte que l’Angleterre fut une contrée sauvage, inexplorée et inconnue il fut un temps, avant l’arrivée des colonisateurs, à l’égal des terres mystérieuses de l’Afrique. Et là, quelque chose de magique se produit : notre vision de Londres se rembobine, comme à la fin de Gatsby le Magnifique où l’on voit les rivages de l’Amérique tels qu’ils sont apparus aux premiers colons, et peu à peu émergent des forêts, un fleuve tourmenté, des sauvages hirsutes qui effacent les immeubles bourgeois, 221B Baker Street, le Prince Charles. On glisse ainsi insensiblement de Londres vers le Congo.

Au cœur des ténèbres raconte comment un homme part à la recherche d’un autre dans une contrée qui lui est irréductiblement mystérieuse, qui le trouble et l’hypnotise. C’est elle le personnage principal de l’histoire, cette jungle congolaise que l’on perçoit à travers les yeux hallucinés de Marlowe dans sa remontée du fleuve pour trouver Kurtz. Sa vision se noie dans le brouillard, l’obscurité, l’enchevêtrement sensuel de la végétation dans lequel on perçoit de temps à autre d’absurdes tâches de couleur. Le mystère de cette jungle tient aussi aux êtres qui l’habitent, qui n’ont pas encore été réduits en esclavage. On entend leurs cris, leurs chuchotements. A moins qu’il ne s’agisse des bruits de la jungle ? On ne sait pas bien. Ils sont l’étrangeté absolue aux yeux de Marlowe qui adopte une attitude ambiguë à leur égard, entre empathie et méfiance.
De la à traiter Conrad de raciste, il n’y a qu’un pas, qui a été franchi notamment par l’écrivain Chinua Achebe. Mais comme d’habitude, c’est compliqué :
Au Coeur des ténèbres nous montre comment on regarde l’autre. En réalité, tout le monde est dans la même folie - les ténèbres, vous l’aurez compris, sont aussi celles de l’esprit humain.

L’être le plus mystérieux d’entre tous est Kurtz, l’officier qui s’est enfoncé au plus profond de la jungle dans l’inconnu, et dont la rumeur affirme qu’il est malade. Kurtz n’apparaît qu’à la fin, mais il hante et fascine les personnages: érigé au rang de légende vivante, il est l’objet de toutes les interrogations. L’image de Kurtz qui demeure, c’est celle de l’homme qui a voyagé au bout de la nuit et qui a atteint le point de non retour, le demi dieu païen au seuil de la mort qui murmure «the horror, the horror».

A ce sujet, cette expression est souvent reprise dans le langage courant en anglais. J’en veux pour preuve l’épisode 19 de la deuxième saison du «Big Bang Theory», intitulé «The Dead Hooker Juxtaposition», où Sheldon Cooper interprète ces paroles de façon magistrale.

Grâce à ce livre vous allez frissonner, que dis-je ! trembler, tressaillir de tout votre être et tout votre corps face à la noirceur insoupçonnée du cœur humain, y compris le vôtre. Peut-être bien que, l’angoisse vous prenant a la gorge, ne saurez vous retenir un cri, pensant qu’il vous sortira de ce cauchemar junglesque. Mais souvenez vous : au cœur des ténèbres, personne ne vous entend hurler. (une référence à Alien se cache dans ce paragraphe, sauras-tu la retrouver ami lecteur?)

Il faut bien sûr parler du film qu’en a tiré Francis Ford Coppola, avec Apocalypse Now. Beaucoup de libertés ont été prises, notamment celle de transposer l’intrigue au Vietnam: le capitaine Willard (Martin Sheen) est chargé par ses supérieurs de trouver et d’exécuter le colonel Kurtz (Marlon Brando), devenu fou, dont le comportement échappe à tout contrôle, et dont les méthodes sont estimées dangereuses. Coppola interprète l’oeuvre de Conrad de façon à évoquer la folie et les horreurs de la guerre.

Coppola déclare au Festival de Cannes en 1979:

« Apocalypse Now n'est pas un film sur le Viêt Nam, c'est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu'étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d'argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous »

Vous venez faire un tour chez les fous?



(billet importé de mon ancien blog et remasterisé)

14 commentaires:

  1. Celui_ci m'avait laissée sur les rotules et toute ébourriffée du voyage! J'aime Conrad d'amour!

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  2. J'avoue que ce retour vers le passé ne me tente guère... pourtant j'aime bien les auteurs du passé. Pour preuve, j'ai acheté "Orgueil et préjugés" de Jane Austen!

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  3. Je l'ai lu à la fac. J'étais en anglais mais en première année, j'avais lettres modernes en mineure (la folle) et il était au programme, entre autres livres, de littérature comparée et j'ai cru mourir. J'ai détesté. Il faudrait peut-être que j'essaie de le relire.

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  4. Je fais doucement connaissance avec ce blog et c'est un grand plaisir, Conrad est un maitre et ce roman en particulier et ses personnages inoubliables

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  5. Je l'ai lu un jour, bien après avoir lu ton premier billet, mais en m'en souvenant encore.
    Ce qui est très fâcheux, c'est que je n'ai quasiment aucun souvenir de ce livre, à présent. Je crois que c'est mal.
    Tu t'en souviens bien, toi ?
    (culpabilise-moi, vas-y, tu as carte blanche !)

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  6. Très bonne note. Tu m'as conquise et appris des choses! Je le note, je l'emprunterai à la bili dès que possible!

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  7. * Chiffonnette, merci d'apporter ta caution!

    * La Plume et la Page, garde quand même ce roman dans un petit coin de ta tête! Et en parlant de J.Austen, je viens de commencer Emma aujourd'hui!

    * Ofelia, maintenant que tu es grande et délivrée des chaînes académiques, relance toi!

    * Dominique, merci beaucoup pour ton gentil commentaire!

    * Erzébeth, pour tout te dire, j'ai davantage de souvenirs d'impressions que de l'intrigue véritablement. C'est en le feuilletant pour cette note que ça m'est revenu. La vérité est que j'ai une mémoire de moule. Sad but true.

    * La Nymphette, ça me fait super plaisir de t'avoir apporté quelque chose! Merci beaucoup!

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  8. Je viens juste d'attaquer les toutes premières pages de "Seule Venise" qui se passe à... Venise, en hiver! Juste le bouquin qu'il t'aurait fallu. Je te dis qu'on a un raccordement télépathico-littéraire. Et en réalité, qu'est-ce que tu lisais?

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  9. * Sib, c'est vrai?? C'est limite inquiétant cette histoire! :) Moi j'aime bien le dictionnaire amoureux de Venise. Sinon les livres sur Venise, à part celui de Casanova, je ne connais pas trop.

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  10. C'est dingue ça! ;-)
    "Luigi ouvre la porte
    - La chambre Casanova. C'est un couple qui l'occupe. Valentino, avec Carla, son amie. Elle est danseuse. Ils sont là pour les fêtes (...)
    Je passe la tête. A l'intérieur, un lit à baldaquin. Des tentures rouges, des broderies. Une commode avec des flacons, une coupe pleine de cerises en verre."
    "Seule Venise" p.24

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  11. * Sib, c'est DINGUE!!! ça décrit exactement la chambre! En même temps, elles sont peut être toutes comme ça à Venise.. Je te montrerai la photo! ;)

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  12. Et on t'a dit que Casanova y avait peut-être couché? (couché, pas dormi)
    Dans ce cas c'est elle(S)!
    ;-)

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  13. Je n'ai lu de Conrad que Typhon, vraiment très bien. j'ai vu le film adaptant Coeur de ténèbres, qui m'a beaucoup marquée à l'époque...

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  14. * Sib, on ne m'a rien signalé de tel... :(

    * Choupynette, je note Typhon!

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