lundi 28 décembre 2009

5803 pages de bonheur

N’est-ce pas?

Donc illustrations à l’appui, je vais faire les présentations des nouveaux venus. Entrez ici...


Le Lièvre de Patagonie, de Claude Lanzmann (2009):

qu’on ne présente plus. L’autobiographie de ce grand monsieur qu’est l’auteur de Shoah. J’ai entendu une fois un extrait à la radio, et c’était au sujet de sa relation avec Simone de Beauvoir. Si mes souvenirs sont bons, il était parti une fois en vacances avec Sartre et Beauvoir, et le dîner se passait systématiquement ainsi: Beauvoir dînait avec l’un un soir, puis l’autre le soir suivant, puis les deux en même temps le soir d’après. L’histoire ne nous dit pas s’il en allait de même avec la chambre à coucher. La chose terrible, si j’ai tout suivi, c’est que dans la ville où ils étaient, il n’y avait que deux restaurants qui étaient accolés et qui n’avaient pas de séparation. Donc quand l’un dînait tout seul, il pouvait voir les deux autres se marrer ensemble. L’histoire ne nous dit pas s’il en allait de même avec la chambre à coucher. Pour connaître la suite, j’ai fait passer le message, avec plus ou moins de subtilité, que je le voulais en cadeau de Noël/ d’anniversaire/ de 14 juillet - et il semble que l’on ait entendu mes prières.




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Le Roman de Monsieur Molière, de Boulgakov (1936):

présenté par le tout premier podcast du gang des LIT. Je suis venue, j’ai entendu, j’ai été convaincue. Il s’agit d’une reconstitution de la vie de Molière par Boulgakov himself, une biographie si vous voulez, mais comme d’habitude c’est plus compliqué que ça. Venant juste de lire ceci, je ne doute pas d’être conquise.

" Une accoucheuse qui avait appris son art à la maternité de l'Hôtel-Dieu de Paris sous la direction de la fameuse Louise Bourgeois délivra le 13 janvier 1622 la très aimable madame Poquelin, née Cressé, d'un premier enfant prématuré de sexe masculin. Je peux dire sans crainte de me tromper que si j'avais pu expliquer à l'honorable sage-femme qui était celui qu'elle mettait au monde, elle eût pu d'émotion causer quelque dommage au nourrisson, et du même coup à la France ".




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New York - Histoire, promenades, anthologie & dictionnaire, (2009) ouvrage conçu et coordonné par Pauline Peretz. Editions Bouquins.

Il ne parle pas que de Manhattan, mais aussi de Brooklyn, du Queens et du Bronx. Et tout ceci par le prisme de l’histoire, la littérature, le cinéma, l’art. Miam!




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A Suitable Boy (Un garçon convenable), de Vikram Seth (1994):

reçu en avance après maintes trépignations, menaces et supplications - je sais être convaincante quand je veux. Il s’agit d’une oeuvre clé de la littérature indienne écrite en anglais - et avec 1474 pages, elle peut se le permettre. C’est toute une ville imaginaire de l’Inde d’après la Partition qui est décrite, avec sa foule de personnages, ses conventions sociales, ses structures. On suit pas à pas chaque personnage, dont les histoires se recoupent et s’influencent.




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From Heaven Lake - Travels Through Sinkiang and Tibet (Le lac du Ciel, Voyage du Sin-K'iang au Tibet ), du même Vikram Seth (1987):

son récit de voyage dans une des régions les plus hostiles, dangereuses, perturbées et belles du monde.




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The Circle of Reason (Les feux du Bengale), d’Amitav Ghosh (1986),

dont je ne connais rien. D’autant plus que le titre est pour le moins énigmatique, vous en conviendrez.

La couverture est hideuse, et fait très roman de gare avec ses illustrations et couleurs pseudo exotiques. Je sais bien que la couverture ne fait pas le livre, mais j’ai horreur du cheap.



Mais c’est un incontournable de la littérature indienne, donc je me ferai violence.


Le recouvrir peut-être.


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Middlemarch - A Study of Provincial Life, de George Eliot (1872)

C’est une bonne chose que je possède ce volume, étant donné qu'en plus d'être un des plus grands classiques de la littérature anglaise, il est dans la Pile A Lire de Salman Rushdie (avec Ada de Nabokov, et l’Autobiographie d’Alice B. Toklas de Gertrude Stein) - pauvre homme: on s’est tellement payé sa tête quand il a avoué qu’il ne l’avait pas lu.




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L’Histoire de l’Art, de E.H.Gombrich (1950):

Je laisse la quatrième de couverture faire sa pub:

L’Histoire de l'art de E.H. Gombrich est l'un des ouvrages sur l'art les plus célèbres et les plus populaires jamais publiés. Depuis quarante-cinq ans, il demeure une introduction inégalée à l'ensemble du sujet, des premières peintures rupestres à l'art d'aujourd'hui. Dans le monde entier, les lecteurs de tous âges et de tous milieux ont trouvé en Gombrich un véritable maître, qui allie la connaissance et la sagesse à un don unique pour communiquer directement sa profonde affection pour les oeuvres qu'il décrit. Cette Histoire de l'art doit sa popularité durable au style simple et direct de l'auteur. Son but, écrit-il, est "d'apporter un certain ordre, une certaine clarté dans l'abondance de noms propres, de dates, de styles qui compliquent quelque peu les ouvrages plus spécialisés". Grâce à son intelligence de la psychologie des arts visuels, il nous fait percevoir l'histoire de l'art comme "un enchaînement ininterrompu de traditions encore Vibrantes" qui "relie l'art de notre temps à celui de l'âge des pyramides". Le succès toujours grandissant de ce classique va se confirmer auprès des générations futures, avec cette seizième édition, révisée et présentée dans un nouveau format.



Je suis ra-vie! Je ne connais absolument rien à l’art (shame on me!) et je me suis toujours sentie intimidée devant ce type de livre. Mais celui ci me parait bien écrit, abondamment illustré et agréable à parcourir. Il m’a l’air d’une bonne introduction.



Merci à tous mes Pères Noëls! Que le chemin de votre vie soit parsemé des pétales de cent mille roses précieuses! (et que le derrière de vos ennemis soit infestés des puces de cent mille chiens galeux)(et que leurs bras soient trop courts pour qu’ils puissent se gratter)


vendredi 25 décembre 2009

lundi 21 décembre 2009

Merlin - BBC - 2008


Avertissement: je suis sur le point de perdre toute dignité.


Puristes, passez votre chemin! Oubliez tout ce que vous savez du cycle arthurien - cette série est «librement inspirée de». Pour vous faire peur tout de suite, sachez qu’il s’agit de la rencontre et de l’association du jeune Merlin et du jeune Arthur, Merlin étant le serviteur d’Arthur. Il faut savoir que Merlin ne doit en aucun cas montrer ses dons, puisque la sorcellerie est proscrite au royaume de Camelot. J’en vois qui tiquent. Je n’en dis pas plus, pour vous laisser la surprise de la découverte. Vous me direz ce que vous pensez de Guenièvre (Gwen pour les intimes).

Toutes ces infidélités ne me gênent pas - certainement parce que je ne connais pas assez la légende, donc je crois volontiers tout ce qu’on me dit. Je trouve que ça laisse place à la surprise. On ne peut pas vérifier sur Wikipédia ce qu’il va se passer après (ça sent le vécu, n’est-ce pas?).

Et de toute façon, la légende, je n’en veux plus: il ne faut PAS que Guenièvre finisse avec Lancelot, il FAUT qu’elle reste avec Arthur, faut virer Lancelot, il n’a rien à faire là.



ON VEUT PAS DE TOI!!


Je m’emporte.


Cette série est enchanteresse: on imagine tout à fait la légende arthurienne y prendre place, tout d’abord à cause de la beauté des décors. Le château est un vrai beau château filmé sous tous les angles, tout blanc avec plein de tourelles. Il s’agit en fait du château de Pierrefonds dans l'Oise, près de Compiègne.



Il est comme on les aime, avec des passages secrets, des pièces cachées, et même un dragon enchaîné tout en bas, pas content d’être là, comme chez la Belle au bois dormant à Eurodisney. Il y a beaucoup de décors naturels - forêts, des montagnes, des lacs - dont la beauté très sauvage est joliment filmée.

Il y a la musique, très bien étudiée et adaptée à la série, digne des meilleurs BO de films. Elle sent l’aventure, la magie, l’appel du destin et tout! Je peux me repasser le thème de Guenièvre en boucle. Je vais m’acheter le cd tiens.


Et au milieu de tout ça, on a des personnages modernes, au ton libre et avec beaucoup d’humour, et si n’étaient leurs aventures, on croirait voir des contemporains. Après tout, la tenue fétiche de Merlin n’est pas si éloignée de celle d’un néo hippie, avec son foulard porté en keffieh.



Là il lance un sort.


Et Arthur en armure ressemble à un quaterback. Et puis Merlin fait étrangement penser à un super héros bien des temps modernes: c’est Superman en fait! Il doit tout le temps sauver Arthur, mais sans montrer qu’il agit, et en supportant ses brimades. On a un petit tandem à la Loïs Lane-Clark Kent ici.. Et d’ailleurs, je me suis parfois demandée s’il n’y avait pas un peu d’ambiguïté dans leur relation.


Et j’aime les personnages, qui sont tous attachants, même si les jeux d’acteur sont assez inégaux, et même si certains personnages sont unidimensionnels (Guenièvre, très gentille et soumise; Uther "Rupert Giles" Pendragon, très méchant et despotique; Gaïus, très protecteur et prudent). J’adore les traits elfiques de Merlin, son air malicieux et enfantin. J’adore la façon dont il est en attente de son destin, de son véritable rôle, avec sa frustration, son indignation intérieure.

Et j’aime beaucoup Morgana, qui est d’une beauté renversante avec ses tenues émeraude, violettes, bleu nuit, mais très froide et à l’écart des autres, malgré son caractère doux et aimable.



Aucun homme ne la recherche malgré sa beauté, et c’est très étrange. C’est un personnage torturé, tourmenté, épris de justice, qui introduit la révolte à Camelot.

L’éventail des méchants est très bien réussi également: très divers, plus ou moins inquiétants, parfois drôlissimes, réjouissants, aux stratégies plus tordues les unes que les autres. Et de façon générale, j’aime la façon dont les scénaristes introduisent les personnages de la légende dans des rôles inattendus et surprenants, montrent ce que fut leur existence avant la quête du Graal, et laissent entendre quels seront leurs destins. Par exemple, la fée Viviane est une jeune femme maudite qui finit par trouver la paix au bord d’un lac.


Et le prince Arthur. Arthur.

Je m’en veux tellement d’admirer sa plastique de minet très lisse, sans rugosité, son physique parfait de beau blond aux yeux bleus et au sourire colgate. Je me méprise, moi qui me flatte d’avoir un goût plus sophistiqué en matière d’hommes. Je me fais complètement avoir par le fan service.






J’arrête si je veux. C’est mon blog.







Et que je vous parle de la scène du baiser: la plus belle scène de baiser de l’histoire de tout, avec une musique! une lumière! l’hésitation, la douceur! Arthur!

Quand j’ai du vague à l’âme, je vais sur youtube et je me la repasse en boucle. Suivies de quelques vidéos de Tarabas et Romualdo. Puis quelques extraits de haka.


Maintenant que vous savez, je me vois dans l’obligation de vous éliminer.


Je crois que mes arguments deviennent de moins en moins rationnels. On va s’arrêter là, je suis en train de perdre tout sens critique et toute crédibilité.

Et pourtant je connais les défauts de la série: le dragon ressemble à rien, Arthur et Merlin s’en sortent toujours, c’est toujours Camelot VS Magie, mais je n’y peux rien: je redeviens une ado quand je vois Arthur, et une gamine quand je regarde la série, tant la combinaison du merveilleux, du médiéval et de la légende d’Arthur m’enchante. C’est une de ces séries dont j’économise les épisodes précieusement pour faire durer le plaisir, d’autant plus qu’il n’y a que treize épisodes par saison, la saison 2 étant en cours. Une série à découvrir absolument.

Maintenant je vous laisse, il faut que j’aille accrocher des posters d’Arthur avec de la patafix dans ma chambre.


vendredi 18 décembre 2009

Le Maître et Marguerite - Mikhaïl Boulgakov - 1940



Avertissement: cette note contient une utilisation abusive de mots dérivés de "diable". Mais pour ma défense, Boulgakov fait pareil.





Quand j’ai su que Salman Rushdie s’était inspiré du Maître et Marguerite pour ses Versets sataniques, j’ai été quelque peu dubitative. Tout d’abord, allez savoir pourquoi, je pensais que Marguerite était une vache. Et que le Maître était... son maître.

Et pourquoi pas? (cliquez voir, l'histoire est mignonne comme tout)


Et j’imaginais une jolie petite vache - une Rouge de Lituanie, une Hinterwälder, ou pourquoi pas une Blonde d’Aquitaine - en train de brouter l’herbe bien russe de son pré enneigé, et son maître qui la tire par une petite corde.



Edit: Précieuse contribution de Sibylline


L’herbe, c’est moi qui l’avais fumé.

Parce que le Maître et Marguerite, c’est en réalité l’histoire du Diable et de ses potes qui débarquent à Moscou sans crier gare, les bougres, et qui mettent l’ambiance dans cette ville triste, sinistre, austère, asséchée, désespérément carrée et cadrée. Mais commençons par le commencement.

URSS 1930. Staline, régime totalitaire, arrestations au pif, terreur, pensée unique, censure, discours politique bidons, paranoïa, appartements communautaires, tout ça. Assis tranquillement sur un banc, Berlioz (pas Hector) et Biezdomny devisent en hommes du monde de la non-existence de Dieu. Si ma mémoire est bonne, il y était question de Kant et Saint Thomas d’Acquin mais étrangement, toute cette partie demeure très floue dans mon esprit. Un étrange homme qu’ils prennent pour un touriste, très poli et affable, vient mettre son grain de sel.



C'est lui.


Il s’appelle Woland, est spécialiste de magie noire, et se fait l’avocat du diable en défendant l’existence de Dieu. Il leur affirme également avoir assisté aux prises de tête de Ponce Pilate, et annonce à Berlioz (en passant) comment celui ci va mourir. Décapité par une femme. Ceci se vérifie très vite car Woland, bien sûr, est le



Très vite, le Diable et ses acolytes (dont un bon gros chat noir) sèment le désordre, la mort et la folie partout sur leur passage. Ils déconstruisent la société moscovite, envoient l’intelligentsia à l’asile (ou à la mort), dénudent les jeunes femmes, offrent des spectacles de magie noire, font pleuvoir des billets de banque, enlèvent des gens, réquisitionnent des appartements pour y tenir leur grand bal des Damnés. C’est que Woland sait s’amuser: dans sa destruction, il introduit jubilation, mouvement, créativité, fantaisie, humour, mysticisme et on aurait bien de la peine à ne pas ressentir de sympathie pour lui.


Wassily Kandinsky, Moscou 1

Ca c'est Moscou après le passage du diable.


Plus en tout cas que pour les individus veules, corrompus et lâches auxquels il s’attaque: les bureaucrates médiocres et mesquins, les intellectuels qui sont en réalité les chantres de la culture officielle, et dont on ne retient ni les noms ni les fonctions (hum hum). On l’aura compris, Boulgakov est ce diable qui dénonce les travers de la société soviétique dans ce J’accuse aux dehors grotesques. Il fustige la lâcheté de ceux qui n’ont pas le courage de s’opposer à ce qui les diminue. On pense à Gogol bien sûr. Et je regrette vraiment de ne pas m’y connaître (du tout) en société soviétique des années 30, car il est évident que des tas de détails sont signifiants, font référence à telle ou telle chose. Enfin bref, on ira sagement sur Master and Margarita pour mourir moins bête.

On me fait signe que je n’ai toujours pas parlé du Maître et de Marguerite. Serait-ce bien raisonnable? Je trouve mon billet déjà bien assez long. Mais puisqu’on insiste...

Le Maître écrit un roman sur Ponce Pilate, dont on trouve des extraits entre deux diableries du Diable. Son oeuvre au destin chaotique raconte l’histoire d’un homme dévasté par la lâcheté, le plus grand crime qui soit, dont il a fait preuve en condamnant à mort Jésus Christ. Cette oeuvre mène le Maître à la folie ; il brûle le manuscrit et disparaît mystérieusement. Marguerite, son amante, pactise avec le Diable afin de retrouver celui qu’elle aime, et châtier ceux qui l’ont détruit. Elle devient ainsi l’héroïne de certains des plus beaux tableaux du livre: son vol, nue, jubilante, échevelée au dessus de la campagne russe ; son rôle de reine des damnés, nue encore, lors de ce fameux bal où sont conviés Caligula et Messaline entre autres.

Et c’est le Diable auquel elle s’associe qui sauve l’oeuvre du Maître, lui qui prononce «les manuscrits ne brûlent pas», lui qui affirme la victoire de la pensée libre face au totalitarisme. L’écriture est diablerie, diabolique, mais elle n’est pas non plus sans rapport avec le divin. Et il faut croire sur parole un homme qui a mit dix ans à écrire ce grand roman envers et contre la censure, dans la maladie et la souffrance, et qui a fini par dicter les dernières corrections à sa femme sur son lit de mort.


« O dieux, dieux ! comme la terre est triste, le soir ! Que de mystères, dans les brouillards qui flottent sur les marais ! Celui qui a erré dans ces brouillards, celui qui a beaucoup souffert avant de mourir, celui qui a volé au-dessus de cette terre en portant un fardeau trop lourd, celui-là sait ! Celui-là sait, qui est fatigué. Et c'est sans regret, alors, qu'il quitte les brumes de cette terre, ses rivières et ses étangs, qu'il s'abandonne d'un coeur léger entre les mains de la mort, sachant qu'elle - et elle seule - lui apportera la paix … »


Moi aussi j’ai galéré pour écrire ce billet - c’est bien trop difficile de parler du Maître et Marguerite et je suis épuisée (d'ailleurs, si vous êtes arrivés jusqu'ici, je vous décerne une médaille)(collective). En plus, il y a tellement d'autres choses à dire. Mais allez jeter un oeil si ce n'est pas déjà fait, et revenez me dire ce que vous en avez pensé.


Les avis de Lilly, Praline, Papillon, Chimère


dimanche 13 décembre 2009

Un Don (A Mercy) - Toni Morrison - 2008




Au printemps dernier, j’ai eu le plus grand plaisir d’assister à une lecture des textes de Toni Morrison, prix Nobel de littérature en 1993, par l’auteur herself. Elle (et sa magnifique chevelure) était venue présenter son dernier livre, A Mercy, Un Don en français. Les extraits lus m’ont émue par leur violence, leur poésie, et par la très belle voix de l’auteur qui déroulait ses propres mots de façon lente, posée, intense.


J’ai mis beaucoup de temps à lire A Mercy, bien qu’il ne fasse guère plus de cent cinquante pages - j’essayais de reproduire cette diction hypnotique dans ma tête. A Mercy n’est pas un livre qui se lit rapidement, d’autant plus son thème, la naissance sanglante du Nouveau Monde, mérite que l’on s’attarde sur chaque phrase.


On est au XVIIè siècle. L’Amérique est encore sauvage, la nature non maîtrisée, et les relations entre les hommes non stabilisées, bien qu'elles soient marquées sous le sceau de la servitude. Les noirs ne sont pas nécessairement esclaves, et les blancs peuvent être asservis ; une indienne et une européenne peuvent être amies, et un homme noir peut boire à la même bouteille qu’un homme blanc. Tous luttent ensemble contre une nature hostile et anarchique, contre la faim et la maladie, mais ce qui semble une relation harmonieuse est en réalité déjà entaché par un crime: le massacre des Indiens.


Dans Beloved, une femme tue son enfant pour lui épargner une vie d’esclave. Dans Un Don, une mère esclave cède sa fille à un étranger, en paiement d’une dette que son propre maître à elle a contractée vis-à-vis de lui. Dans Beloved, la mère est hantée par son enfant ; dans Un Don, c’est l’enfant qui est obsédée par sa mère. Le roman s’ouvre sur la voix et le Je de Florens, la petite fille dont la vie est parcourue par la blessure de cet abandon qu’elle ne comprend pas, et qu’elle confronte.


N'aie pas peur. Mon récit ne peut pas te faire du mal malgré ce que j'ai fait et je promets de rester calmement étendue dans le noir - je pleurerai peut-être, ou je verrai parfois à nouveau le sang - mais je ne déploierai plus jamais mes membres avant de me dresser et de montrer les dents.


On découvre la raison de ce choix de la mère à la toute dernière page du roman, dont les derniers mots sont bouleversants de force, de simplicité et de dignité.


On se calme, je ne spoile rien du tout.


It was not a miracle. Bestowed by God. It was a mercy. Offered by a human. I stayed on my knees. In the dust where my heart will remain each night and every day until you understand what I know and long to tell you: to be given dominion over another is a hard thing; to wrest dominion over another is a wrong thing; to give dominion of yourself to another is a wicked thing.

(pas trouvé la traduction en français)


Mais Un Don raconte aussi le microcosme dans lequel Florens vit, et au sein duquel elle découvrira l’amour, le Tu auquel elle s’adresse. Le roman est une mosaïque, composé de différents récits déconstruits adoptant le point de vue des différents personnages, sur l’histoire, mais aussi sur leur histoire. Tous parlent à travers l’auteur, qui mêle sa propre voix à la leur, offrant ainsi une langue poétique, rustre, aux accents bibliques, grammaticalement incorrecte, digne et individuelle.


La ferme est dirigée par Jacob Vaark, l’homme à qui Florens a été cédée, et sa femme Rebekka, qu’il a fait venir d’Angleterre. Il y a également Lina, une Indienne dont la tribu a été décimée par une épidémie. Sorrow est une simple d’esprit rescapée d’un naufrage. Willard et Scully travaillent pour Jacob Vaark afin de racheter le prix de leur voyage depuis l’Europe. On a ici un bel échantillon de la population de l’Amérique du XVIIè. Ces personnes parviennent à constituer une famille, utopique en apparence, mais fragile, à l’équilibre très précaire en réalité. Le serpent s’introduit sous la forme de la maladie.


Un roman court, mais magnifique, puissant, d’une grande poésie. A lire, vraiment.


Les avis de Gangoueus et de la Liseuse.

Et aussi ICB!


Post Scriptum: Après une petite intervention d'Erzébeth qui n'avait rien demandé (voir les commentaires ci dessous), je viens de me rendre compte, tout à fait par hasard, que Jacob Vaark a des airs de Jean Valjean, dans la manière qu'il prend Florens en charge. Et le mot de la fin (It was not a miracle. Bestowed by God. It was a mercy. Offered by a human.) pourrait tout à fait correspondre au héros de Victor Hugo. Il y a une petite distorsion quand même, puisque Fantine cède d'abord Cosette aux Thénardiers, mais elle finit par la confier à Jean Valjean. Comme quoi, comme quoi...