mardi 24 août 2010

La Petite Dorrit (Little Dorrit) - Charles Dickens - 1857


Après la mort de son père, Arthur Clennam revient à Londres pour se rendre auprès de sa mère invalide et lui remettre une montre que lui a confiée son père mourant. La réaction violente de sa mère semble confirmer les suspicions d’Arthur sur l’existence d’un grave secret de famille. De plus, l’étrange bonté dont elle fait preuve envers sa jeune couturière, Amy Dorrit, pousse Arthur Clennam à s’intéresser à la jeune fille. Elle-même se comporte de manière singulière, insistant pour manger seule, refusant de se mentionner sa vie privée. Un jour, il la suit jusqu’à chez elle : c’est ainsi qu’il découvre la Marshalsea, la prison pour dette, et fait la connaissance de William Dorrit emprisonné depuis plus de vingt ans.


Chers amis, voilà un roman passionnant, sur les thèmes de l’emprisonnement, l’immobilité, l’enfermement, la captivité, l’isolement, l’aliénation, la contrainte, l’oppression. Et en effet, ce n’est pas la petite Dorrit la véritable héroïne de l’histoire, contrairement à ce que le titre indique. Ces choses là sont très farceuses, et se plaisent à induire l’innocent lecteur en erreur. Au hasard : Le Rouge et le noir, qui est un peu la meilleure blague de l’histoire des titres, suivi de près par Oh Les beaux jours et Les Trois mousquetaires, qui étaient cinq, comme chacun le sait. Il va falloir que je songe à en faire un billet. Mais il semble que je digresse, et bien que la digression soit éminemment dickensienne (comme on le verra plus tard) je vais tâcher de revenir au propos initial qui traite de la véritable héroïne de l’histoire que je vais dévoiler sous vos yeux ébahis : la prison pour dette. C’est à elle qu’on vient et qu’on revient ; c’est elle qui menace, fascine et façonne les esprits, et on retrouve sa marque bien au-delà de ses murs, bien au-delà des frontières de Londres, et même de la Grande Bretagne. Elle est matériellement présente durant toute la première partie du livre ; une véritable société parallèle s’est développée en son sein, et son roi n’est autre que le doyen des prisonniers, William Dorrit, dont la grandeur n’a d’égale que la médiocrité.


La deuxième partie du roman est placée sous le signe des voyages, et là on observe les agissements d’une autre société, celle des Anglais à l’étranger. Elle se situe en contraste avec la première partie, mais non en opposition car la prison pour dette est toujours présente dans l’esprit des personnages, bien qu’elle ne soit que rarement mentionnée. Son ombre plane sur les canaux de Venise, les ruelles de Rome, les sentiers des Alpes, ce qui leur donne un petit côté brrrr qui n’est pas pour déplaire à votre humble servante.




La prison, comme Ursula, est brrr et tentaculaire.


A ce sujet, je retrouve le côté dark de Dickens que j’aime tant : les secrets de famille, la confusion entre rêve et veille, les magouilles, les maisons sombres et labyrinthiques, les personnages louches et excentriques. On a un méchant très méchant français et galant homme de son état. On a une vieille fille misanthrope et paranoïaque. On a la très volubile, nostalgique et dodue Flora Finching. On a Affery, la servante victime d'hallucinations. Les personnages sont tous affectés de torsions, de bizarreries ; c’est moins la cas que dans d’autres Dickens - et la preuve est qu’il n’y a aucun personnage de la Petite Dorrit qui ne soit entré dans le paysage culturel anglais comme Miss Havisham, ou Uriah Heep, ou Fagin - mais ça n’en reste pas moins réjouissant. Ils donnent lieu à des scènes flamboyantes, comme le délire de William Dorrit au milieu d’un dîner mondain, comme la confession éclatante de Mrs Clennam, comme la disparition de Rigaud.


Et en même temps, comme toujours chez Dickens, ce dark side cohabite avec un univers très réaliste : le Londres des spéculateurs, des indigents, des artistes, des ingénieurs, des financiers, des arrivistes, des fonctionnaires. La critique du bureau des circonlocutions est savoureuse, et annonce la SDN de Belle du Seigneur. Dans La Petite Dorrit, bien plus que dans les autres romans de Dickens, il est question d’argent, d’emprunts et de dettes, de spéculation et de ruine (d’ailleurs, la crise financière décrite dans la deuxième partie a quelque chose de très actuel et moderne). C’est par l’argent plus que par les titres que les personnages grimpent les échelons de la société, et en redescendent presque aussitôt.



(c'est moi ou ce truc ressemble à un phallus?)

Et bien sûr, la complexité des intrigues, les liens insoupçonnés et insoupçonnables entre les personnages qui se développent sur tout le continent européen, les naissances et les chutes d’empires qui affectent les destins de tous, tout cela est hautement prenant. Tout est digression dans ce roman (je vous avais dit qu’on y reviendrait), mais au final, elles se recoupent toutes (comme dans mes billets, en toute modestie).


C’est un des romans de Dickens que j’ai préféré, et je n’ai pas vu passer le petit millier de pages. Je le considère comme un très grand livre. Quel dommage qu’il soit si peu connu en France, et surtout si pas publié en poche. Il existe en Pléiade seulement, et pour la démocratisation de la culture, on repassera. J’ai posé cette question une fois : pourquoi les meilleurs Dickens ne sont-ils pas disponibles en poche? On m’a fait cette réponse laconique : parce que Dickens n’intéresse pas le lectorat français. Ah.


14 commentaires:

  1. Dans mes bras! Aaah quel goût vraiment dépravé, pour citer le sous titre du blog! Après Proust, Dickens! M'enfin, quelle idée... ^_^
    A lire ton dernier paragraphe, je te rejoins totalement: tant qu'on ne proposera en poche au lecteur français que seulement quelques titres, toujours les mêmes, et pas toujours en version complète, il ne s'y intéressera pas. Chez Bouquins il y a Nicholas Nickleby couplé à Oliver Twist, mais bon... Il faut tenir compte du fait que l'homme avait tendance à écrire des pavés (mais des pavés comme cela, sans graisse inutile, on en redemande). bref, pour lire Dickens, soit on faut chauffer le plastique et on achète des pleiade (ma bibli qui en possède quelques uns n'a pas voulu acheter Notre ami commun, mais bon, ça fait le prix de deux navets de la rentrée), soit on les achète en poche en anglais, et là on découvre que ce n'est pas si difficile (mais s'accrocher quand même)et que ça vaut le coup!
    Tout ça pour dire que j'ai lu La petite Dorrit en VO et que tu me donnes une furieuse envie de la relire.
    Figure toi qu'en ce moment pile poil je lis Our mutuel friend, que c'est génial of course, et qu'à chaque fois j'ai l'impression de découvrir le meilleur que j'aie lu. Cela m'avait fait ça avec Bleak house, jusqu'où ira-ton? ^_^
    A auteur prolixe, à billet à digression :: commentaire prolixe et qui part dans tous les sens, mais tu auras compris!
    Note : si tu n'as pas encore lu la bio de Dickens par Ackroyd, jette toi dessus! Elle fait plus de deux kg, 1200 pages, mais ce n'est que du bonheur. Là on lit que la Marshallsea a joué hélas un rôle dans la vie de Dickens.
    Bon j'arrête.

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  2. Et bien, ton dernier paragraphe vient de me couper tout espoir. J'adore Dickens pour le peu que j'ai pu en lire (c'est à dire pas grand chose comme je ne lis qu'en français)(l'anglais n'étant définitivement pas pour moi)(vraiment) et du coup, je me demande si un jour, je lirais la version non expurgée de ce titre. J'avais, plus jeune, un magnifique exemplaire de La petite Dorrit, destinée à la jeunesse, avec une couverture imitation cuir et des pages d'un rose délicat et ce livre sentait si bon, un vrai délice. Il ne me quittait plus, je l'ai lu, relu, re-relu, puis c'était un des rares livres vraiment à moi et Dickens, quand on est gamine, ça fait un peu lecture de grand. Tout ça pour dire à quel point je le chérissais. Bref, il a connu une fin très tragique et depuis, je recherche inlassablement la version longue sans pouvoir mettre la main dessus. Anglais, très peu pour moi et Pléiade, ça coûte trop un bras. Je me dis qu'il me reste encore quelques titres à lire de cet auteur (celui-ci, L'ami commun, Bleak house, Le mystère d'Edwin Drood puis quelques autres titres encore) mais finalement, si l'on t'a dit que Dickens n'intéressait personne, bah, tant pis pour moi... Je suis un peu blasée de la réponse que l'on t'a fait m'enfin...
    En tous cas, ton billet me donne envie de le dire. Bouh !!!
    Pardon, j'arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. Je ne me présente pas et ne dit même pas bonjour en plus... Donc bonjour et je m'appelle Séverine. Et je lis ton blog régulièrement.

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  3. En tous cas, ton billet me donne envie de le "L"ire. Et non, "D"ire bien évidemment.

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  4. Hahaha j'adore les commentaires dickensiennement longs que ce billet a engendré! :))))))

    * Keisha, j'adore ton enthousiasme! En ce qui concerne les traductions françaises, j'ai l'impression qu'ils proposent toujours les oeuvres figurant des enfants : David C. , les Grandes E. , Oliver Twist. Et ce ne sont pas toujours les plus intéressantes, même si elles sont déjà excellentes! C'est marrant, non?
    J'ai lu Bleak House et L'Ami commun juste avant la Petite Dorrit, et un billet devrait bientôt suivre! J'ADORE Dickens!!
    Tu as tellement raison quand tu dis qu'un Pleiade, c'est le prix de deux best seller! En plus, les tomes sur Dickens proposent deux oeuvres par volume en principe.
    Je n'ai pas lu la biographie de Peter Akcroyd : je note! En plus, c'est un écrivain, ça doit forcément être intéressant!

    * Bonjour Séverine, et enchantée! Alors tout d'abord : ne perds pas tout espoir. Déjà, tu peux l'emprunter en bibliothèque. Ensuite, tu peux toujours tomber sur un Pleiade d'occas, ne serait-ce que sur Amazon. Comme je disais à Keisha, un tome de Dickens contient deux oeuvres en général, donc ça peut valoir le coup. Tu as aussi des liens sur Internet (même si je ne suis pas sûre qu'il s'agisse de l'intégralité : http://fr.wikisource.org/wiki/La_Petite_Dorrit
    J'adore ton histoire sur ton exemplaire de la Patite Dorrit, je la trouve émouvante.
    En ce qui concerne la publication, je ne sais pas quoi te dire. On m'a dit qu'il était trop anglais. Ouais.

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  5. Dickens trop anglais? *yeux écarquillés* Et alors? On va reprocher à Tolstoi d'être trop russe? A Amélie N d'être trop belge? (euh, mauvais exemple)(mais je l'aime bien quand même)
    Ta remarque est correcte : ce sont toujours les romans avec des gamins que l'on trouve aisément, et ce ne sont pas les plus intéressants (à mon humble avis). Mais j'espère relire David C. un jour.
    Dickens en VO c'est parfois chaud, mais ça vaut vraiment le coup! Et je tire mon chapeau à son traducteur Sylvère Monod !

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  6. Ah, j'ai honte. Je suis de ce lectorat français qui ne s'est jamais interessé à Dickens... vive ton billet qui fait naître une petite flamme en moi, ces personnages, ce réalisme onirique, tout me tente.
    Illustration number one : tiens, on dirait moi ce matin devant le miroir...
    Illustration number two : subliminalement oui de chez oui.
    Et un palmarès des titres les plus plaisantins, oui aussi ! (j'ai quelques suggestions d'ailleurs :) !)

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  7. Ca me tente mais je ne me sens pas prête à le lire en anglais... Ca a l'air en tout cas d'être un très beau roman.

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  8. C'est vrai que tout est fait pour nous décourager de lire Dickens en France, ce qui est fou quand on sait quelle place il a dans le monde anglo-saxon...
    J'attendais le début de tes billets sur l'auteur depuis quelques mois, et tu m'as eue. Pour l'instant, je n'en avais lu que quelques uns, mais je crois que tu as raison de dire que les plus importants ne sont pas ceux que l'on pense. Je vais essayer de surmonter mon aversion pour La Pléïade (plus snob, tu meurs) pour pouvoir le dévorer.

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  9. Merci pour ta réponse.
    A ma bibliothèque, ils l'ont en pléiade mais ces livres, on ne peut pas les emprunter. Ahah !!!
    Sur ordi, je me fatigue assez vite visuellement, c'est vraiment pas pratique donc.
    Mais je vais opter pour l'attente et prier pour le trouver d'occasion, on verra bien, peut-être que j'aurais de la chance un jour prochain.
    Et d'ici là, j'espère que les éditeurs se réveilleront pour nous permettre de pouvoir lire autre de chose de Dickens que ces romans les plus connus.
    En attendant, je vais emprunter la version jeunesse prochainement, qui elle, est disponible, histoire de me remettre l'histoire en tête et de me rappeler des vieux souvenirs.

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  10. je ne connaissais pas ce titre jusqu'à voir l'adaptation (BBC, cela va de soi) excellent qui en a été faite récemment. Très envie de le lire depuis, mais bon, c'est quand même un sacré pavé!

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  11. Bon, je n'accroche toujours pas à Dickens... Mais tu m'aimes quand même ? Parce que je t'ai taguée...

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  12. j'ai vu l'adaptation BBC, absolument remarquable, qui donne envie de se procurer le livre!

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  13. Quoi? Tu passes par Gambetta avec un diadème et tu ne viens pas dire bonjour?
    Bon, j'espère en tous cas que tu n'es pas trop fatiguée et que 2011 commence bien pour toi et t'apportera de belles lectures!

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