mercredi 28 juillet 2010

Du côté de chez Swann - Marcel Proust - 1913




Avertissement : pour des considérations un peu plus sérieuses sur Proust et qui traitent vraiment de la Recherche, s’adresser à Antoine Compagnon.


J’avais amené ce livre avec moi lors de mon voyage au Laos, afin de me mettre au pied du mur et de m’obliger à le lire. J’avais plein de raisons plus ou moins avouables pour lire Proust ; face à un monstre pareil, le mot «chef d’oeuvre» n’est pas un argument suffisant. Que ceux en désaccord avec moi me lancent la première intégrale de la Recherche en un volume.


Premier argument assez nul : plein de gens autour de moi l’ont lu/sont en train de le lire/sont obsédés par lui. Les savants le citent d’un air entendu dans les soirées mondaines et l’appellent par son petit nom : «La Recherche» (bien prononcer le «R» majuscule). Donc pression sociale : ne pas lire Proust c’est être ringard, hors du coup.

En même temps, lire Proust c’est être ringard, hors du coup ; c’est être un intellectuel pédant dans la lune qu’a rien compris à ce qu’était la vraie vie. (Ce à quoi j’ai envie de répondre que la vraie vie, c’est la littérature, mais chaque chose en son temps).


Deuxième argument un peu limite : lire la Recherche, c’est appartenir à un club : ceux qui ont lu la Recherche. C’est comme ceux qui ont lu l’Ulysses de Joyce (mais on ne m’y reprendra pas). C’est aussi comme ceux qui parlent le Klingon, ou ceux qui ont vu tous les Buffy, ou ceux qui savent toucher leur nez avec le bout de leur langue. Une communauté se crée, une complicité s’établit ; ceux-là sont différents, au dessus de la mêlée. Ils sont cools. Moi aussi j’ai envie d’être cool.


Troisième argument vraiment pas terrible : les défis, ça me stimule.


Mais je n’avais jamais réussi à dépasser la page 40, quand le petit Marcel veut sa maman depuis vingt pages sinon il peut pas s’endormir, même quand il s’est un peu masturbé avant, c’est comme ça, ya rien à faire. On a envie de lui dire qu’il est une heure du matin et que c’est-pas-possible d’autant se prendre la tête, et que un peu de concentration (diantre!)

J'avais quand même lu il y a deux ans le petit volume auto-suffisant d'Un Amour de Swann, mais dès qu'il s'agissait du premier tome en entier, c'était au-dessus de mes forces.

C’est au Laos que j’ai compris qu’il fallait s’adapter au rythme de l’oeuvre qui nous est imposé et exige une lenteur, une quiétude d’esprit, un certain abandon et en même temps de la concentration. Il faut véritablement s'accrocher au courant de ces mots, de ces très longues phrases qui n’en finissent pas, et dont on peut oublier le début, et même le milieu, mais ce n’est pas grave et il ne faut pas se laisser abattre par si peu. C’est le genre de livre qui demande à ce qu’on ait suffisamment de temps devant soi pour ne pas s’en soucier et s'en abstraire. Pour moi, c’est un livre de vacances. Donc : ne pas lire Proust dans le métro, ne pas lire Proust dans une salle d’attente, ne pas lire Proust dans une queue à Eurodisney. C’est comme ne pas nourrir les Mogwaïs après minuit : c’est très simple comme recommandation et ça va tout seul.


C’est ainsi que, coupée du téléphone, d’internet, de toute obligation sociale, je l’ai lu d’une traite, dépassant allègrement la page 40, sans sauter de lignes.


Ce serait drôle de vous faire un résumé.


Non je rigole. Les Monty Python font ça très bien.


Bon en gros, dans le premier tome, le narrateur explore ses souvenirs d’enfance dans la campagne normande au tournant du XXè siècle où il rencontre un personnage qui va l’obséder durant des années : Charles Swann. Je ne vous le cache pas : il ne se passe rien. Mais l’histoire importe peu : tout n’est que sensations et perceptions, abordées de plein de points de vue différents à des époques différentes. Il y a une volonté de saisir le réel dans son exhaustivité, si bien qu’on peut reconnaître dans Proust nos propres impressions et prises de tête, nos propres relations avec les gens : il sait les identifier et mettre les mots exacts dessus, alors que nous, simples mortels, ne nous en rendions même pas compte. Tout ce qu’il dit est vrai et toutes les pages sont remplies de révélations sur nous-mêmes et nos passions.


Et puis il est très drôle Proust. Toute sa critique des milieux bourgeois et aristocratiques de son temps est à hurler de rire, surtout quand on traîne du côté des Verdurin et de leurs «familiers», ces parvenus qui aimeraient bien avoir l’air, mais qu’ont pas l’air du tout. Le narrateur se montre impitoyable, mais jamais méchant : on sent un attendrissement devant leur bêtise.

Françoise, la cuisinière de la tante Léonie, offre aussi de beaux moments comiques dans sa persécution envers son aide. Par exemple, elle fait servir des asperges tout l’été à la famille du narrateur:


"[...]bien des années plus tard, nous apprîmes que si cet été-là nous avions mangé presque tous les jours des asperges, c’était parce que leur odeur donnait à la pauvre fille de cuisine chargée de les éplucher des crises d’asthme d’une telle violence qu’elle fut obligée de finir par s’en aller."

Je me suis aussi bien marrée avec les tantes Céline et Flora, ces deux vieilles filles inséparables qui ne parlent que par lourds sous-entendus incompréhensibles. Et puis le narrateur tombant amoureux de Gilberte est hilarant et confondant de naïveté, d’espoir, de dévouement envers son aimée.

Et puis Proust, c’est plein de surprises. La société aristocratique qu’il décrit est polie et conservatrice, mais cache de nombreux vices. Pas d’exemples pour ne pas spoiler.

Enfin, il m’a été agréable de reconnaître tel ou tel passage très souvent cité : le coup du petit cabinet qui sentait l’iris, de la dame en rose, des catleyas, du coup de foudre du narrateur pour Gilberte. Et aussi faire véritablement connaissance avec Swann, Odette, Charlus, comme des amis d’amis souvent mentionnés, mais qu’on n’a jamais rencontré. Ce qui est étonnant avec Proust, c’est qu’il fait tellement partie de notre paysage culturel qu’on a une impression de familiarité en le lisant.


Donc voici mes premières impressions en découvrant le premier tome de la Recherche (avec un «R» majuscule). Je frétille d’impatience de lire la suite, mais il faut que j’attende le bon moment pour que Proust demeure un véritable plaisir. Ce n'est pas si difficile que ça : il suffit d'être prêt et d'en avoir envie.


Bon, maintenant je suis lancée dans la Recherche du temps perdu, il y a deux types de relous à éviter :

  • ceux qui sont contre la culture par principe et pour qui Proust = Antéchrist.
  • ceux pour qui Proust = Dieu, et qui se prennent pour ses archanges.

Mais je sais que vous n’êtes pas comme ça, gentils lecteurs.

dimanche 11 juillet 2010

Bored to Death - HBO - 2009


Je suis très difficile en séries ; je n’ai pas dit exigeante notez. C’est-à-dire que j’ai beaucoup de mal à trouver des séries qui me plaisent, mais quand j’accroche, ça ne veut pas forcément dire qu’elles vont faire l’unanimité. Je pense à Desperate Housewives (qui n’est jamais crédible), Big Bang Theory (toujours le même type de blagues), Merlin (pour les prépubères), Glee (parfois qq). Mais je les aime d’amour.


On pourra trouver des défauts à Bored to Death. Mais ce n’est pas grave.


Jonathan Ames (Jason Schwartzman) est un écrivain juif new-yorkais mal dans sa peau, obsédé par son ex, qui n’arrive plus à aligner deux mots sur son Mac (syndrome qui guette dangereusement votre humble servante). J’aime beaucoup ce concept ; on pourrait presque en faire un acronyme comme les américains en raffolent : SHNYJ (Self-Hating New York Jew). Tout cela donne lieu à de jolies scènes de comédie à la Woody Allen, avec un humour tendrement déjanté, subtil, mélancolique.




Mais Jonathan Ames, comme tout bon superhéros, cache une autre identité: écrivain raté le jour, détective privé non agréé la nuit. Le plan, c’est de faire de sa vie un roman noir à la Chandler, à la Ellroy, et Jonathan Ames prend un plaisir évident à s’approprier le vestiaire de Humphrey Bogart (d’ailleurs, on se souvient que Woody Allen lui voue un véritable culte dans «Play It Again Sam»). On y sent une désuétude, une nostalgie, pas désagréables ma foi. Et effectivement, on a bien les belles femmes vénéneuses, les rues sombres d’une grande ville, l’alcool, les volutes de cigarette, les hôtels minables, les maîtres chanteurs. C’est très étonnant de voir cet univers transposé dans le New York du XXIè siècle. Mais toute cette ambiance n’est pas à la hauteur des cas minables qu’on lui confie. Jonathan Ames est un détective un peu nul, résout ses affaires sans le faire exprès, mais c’est ce qui est rigolo.




Les autres personnages sont à l’origine de scènes à l’humour plus gras, et tout aussi jouissif. Ray, le duveteux et potelé meilleur ami du héros, est un dessinateur de bande dessinée qui connaît des complications sexuelles dans son couple et fait généreusement don de sa semence à des lesbiennes. (Vous l'avez reconnu? C'est le barbu dans Very Bad Trip!)




George, le patron de Jonathan, est un vieux beau à l’air ahuri, qui trompe son ennui et oublie son âge dans les bras de ses conquêtes et la fumée de ses joints. C’est RE-JOU-I-SSANT! Ce sont des personnages à la Wes Anderson (dont Jason Schwartzman est un habitué): ils sont névrosés, ne sourient jamais, ont les yeux tombants, chuchotent plus qu’ils ne parlent, et ont constamment l’air en apesanteur. D’où la très légère sensation d’ennui qu’on peut ressentir en regardant cette série: les personnages sont «bored to death» et se distraient comme ils peuvent.




Et puis un atout de taille: New York, qui n’a pas été aussi bien filmé depuis Sex and the City. On s’y promène beaucoup, et pour une fois, on sort de Manhattan, on prend le métro et on va à Brooklyn. J’aime beaucoup la façon dont la série exploite cette ville, et s’approprie le New York de Woody Allen et du film noir.


Alors pour la nouvelle saison, j’aimerais qu’ils exploitent davantage l’alcoolisme de Jonathan, les BD de Ray et qu’il y ait un véritable fil conducteur entre les épisodes. Parce qu’à 8 épisodes par saison, on peut faire un effort. Sinon, ne rien changer: c’est parfait.