lundi 15 mars 2010

Je pars.

Chers amis, je m'absente quelques semaines pour me rendre là:







Comme ça ne vous paraîtra pas forcément évident, il s'agit du pays d'Asie du Sud Est commençant par "L", je ne vous dis que ça.

Les anglophones aiment en faire un jeu de mot, en disant que c'est le singulier de "lice". (hahaha)

Je n'ai pas réussi à savoir comment publier des billets en avance, donc de mise à jour de ce blog il n'y en aura point, sauf si je réussis à mettre la main sur un café internet.

A bientôt donc chers amis, et souhaitez moi bon voyage!

L'Homme qui rit - Victor Hugo - 1869




Victor Hugo - longtemps je ne l’ai pas supporté. Je trouvais qu’il faisait un peu trop son Victor Hugo - c’est ce qui fait son charme, et même tout son intérêt diront certains. Je le trouvais un peu too much, trop «foule en délire».

Et il est partout et a un avis sur tout. On ouvre une anthologie de théâtre, il est là. De poésie, il est là. De littérature, il est là. Et même dans les livres d’histoire ! Chez Disney. Sur des pubs Acadomia. Dans des comédies musicales. Au Panthéon.


L’Homme qui rit est le roman qui m’a réconciliée avec Hugo. J’étais attirée par cette histoire de sourire étrange. Tout ce qui m’horripile chez lui y est porté à son paroxysme, et fonctionne ! Donc bien sûr j’ai souvent eu la tentation de balancer le bouquin, bien sûr j’ai sauté plein de pages.

Malgré tout, j’étais éblouie : c’est sublime.

Le pitch, bien sûr.

Dans l’Angleterre du XVIIè siècle, un saltimbanque-philosophe-ventriloque nommé Ursus recueille deux enfants venus frapper à sa porte une nuit de tempête. L’un, Gwynplaine, arbore un rire perpétuel sur son visage du fait d’une mutilation des lèvres. Si vous voulez, le Joker de Heath Ledger pourrait lui ressembler assez. Ce serait même super intéressant de les comparer.


L’autre enfant, Déa, est aveugle, et illumine par sa beauté. Ils s’aiment.

Tous les trois accompagnés de leur loup, Homo, vivent de leurs spectacles et de « l’Homme qui rit » qui attirent foule. Durant l’hiver 1704-1705 ils arrivent à Londres.


Ce roman rencontra l’incompréhension à sa parution. Il est vrai qu’il est dérangeant, fondé qu’il est sur l’antithèse (ce qui apparaît dans le titre même, on ne peut plus ironique). Cette épopée réconcilie lumière et ténèbres, beauté et laideur, bien et mal, sensualité et pureté, sarcasme et exaltation, or et misère. Cette bizarrerie, cette ambivalence, cet équilibre instable des contraires donne une dimension très baroque à l’écriture hugolienne. Bien sûr, c’est magnifique, mais comme d’habitude il ne sait pas s’arrêter et ça peut devenir agaçant même si ça fait partie du truc. Ca dépend de votre humeur en fait. Ouvrons une page au hasard : « Son existence, telle qu’elle était, était le résultat d’un double choix inouï. C’était le point intersection des deux rayons d’en bas et d’en haut, du rayon noir et du rayon blanc. La même miette peut être becquetée à la fois par les deux becs du mal et du bien, l’un donnant la morsure, l’autre le baiser. Gwynplaine était cette miette, atome meurtri et caressé. Gwynplaine était le produit d’une fatalité compliquée d’une providence. Le malheur avait mis le doigt sur lui, le bonheur aussi . Deux destinées extrêmes composaient son sort étrange. Il y avait sur lui un anathème et une bénédiction etc»

Certaines scènes du roman où on voit l’homme en prise avec l’immensité, touchent au sublime, inspirant à la fois terreur et fascination. La scène de la tempête en mer et sur terre est éblouissante, véritable et immense Turner de cauchemar. La scène où Ursus mime une foule pour tromper Dea (allez voir pourquoi) est un des plus beaux moments du livre : « Alors Ursus devint extraordinaire. Ce ne fut plus un homme, ce fut une foule. Forcé de faire la plénitude avec le vide, il appela à son secours une ventriloquie prodigieuse. Tout l’orchestre de voix humaines et bestiales qu’il avait en lui entra en branle à la fois. Il se fit légion. Quelqu’un qui eût fermé les yeux eût cru être dans une place publique un jour de fête ou un jour d’émeute…. »

La richesse et la diversité incroyable des mots touche à la fois les noms communs et les noms propres dans une multitude de langues, qu’elles soient modernes ou classiques. On y trouve des termes très techniques de marine, de musique, des références à des divinités antiques, à d’illustres inconnus, à des lords, et j’en passe.
On retrouve cette langue dans le personnage misanthrope d’Ursus, qui parle beaucoup, peut-être même un peut trop. En lui se retrouve tout le langage humain et même animal, langage qui paradoxalement n’en est pas un car Ursus n’a pas pour but de communiquer. La complexité du langage semble donc se suffire à elle-même, et apparaît comme faisant partie du décor, un immense cabinet de curiosités.
Ainsi j’ai lu sans tout comprendre, et je pense que ce n’est pas plus mal, puisque ces objets étranges qui nous échappent font partie de la beauté bizarre et baroque de l’œuvre. Et puis surtout, c’est chiant d’aller lire toutes les notes. On a assez à faire avec les quelques sept cent pages du livre (je ne vous avais pas dit ?).

« L’Homme qui rit » est aussi une œuvre métaphysique et politique. (Il sait tout faire je vous dis !) Métaphysique car il est une réflexion sur le bonheur terrestre et le destin, l’amour charnel et l’amour pur, l’aspiration au ciel et le vertige de l’immonde.
Politique (publié en 1869, sous le Second Empire, et Hugo est encore en exil) car il dénonce le décalage entre les nobles et le peuple dans une société fondamentalement inégalitaire. Il rend compte de l’aveuglement, de la surdité volontaires des puissants qui rient lorsque l’Homme qui rit s’insurge contre cette inégalité et finit, impuissant, par éclater en sanglots.
Et surtout, il dit comment la parole de l’artiste, vaine en apparence, est en réalité prophétie.


(Billet importé de mon ancien blog et remastérisé, mais si peu)

The Ghost Writer - Roman Polanski - 2010




Note: Ce billet est plus ou moins la suite de celui-ci.

De nos jours, sur une île au large de la Nouvelle Angleterre. Adam Lang, le grand politicien anglais, a besoin d’un nouveau nègre pour rédiger ses mémoires, l’ancien s’étant tué en tombant d’un ferry pour cause d’ivresse mal gérée. Le nègre (ghost) rejoint son employeur sur l’île. Petit à petit, il s’aperçoit que la biographie qu’on lui demande d’écrire ne correspond pas à la réalité, qu’on lui cache beaucoup de choses sur le passé de Lang, et surtout sur la mort de son prédécesseur. De plus, Adam Lang connaît des difficultés avec la justice pour cause de - excusez du peu - crimes de guerre. Ses agissements à lui dépendent donc des bulletins d’information qui passent à la télé, des manifestants qui assiègent sa maison, des coups de fils des politiques britanniques et américains. Autant d’éléments qui perturbent l’écriture de cette fameuse biographie.




Comme chez Scorcese, le héros se lance dans une enquête différente de celle prévue, et va également se mettre en danger. C’est aussi un film sur le doute, la paranoïa. Seulement, les deux personnages sont très différents: autant tout le film de Scorcese tourne autour de Teddy Daniels, sa psyché, son passé, ses obsessions, autant le Ghost demeure un fantôme: sans nom, sans histoire, sans attaches, transparent. Et je trouve Ewan Mc Gregor très bien dans ce rôle, avec sa bouille de blondinet aux grands yeux bleus délavés - il joue très bien l’homme modeste, humble, dépassé par cette histoire, mais résolu à savoir.



Et comme chez Scorcese, il est question d’île au large de la Nouvelle Angleterre, avec une Dame Nature - cette garce - (nous sommes un peu fâchées aujourd’hui)

une Dame Nature donc (cette garce) très peu clémente. Il tombe beaucoup, beaucoup, beaucoup d’eau. Et nos héros en redemandent, avec leurs petites explorations des environs, à pied, à bicyclette. Voudraient-ils nous refaire le coup de la chemise mouillée?

En tout cas, le traitement de la nature n’est pas exactement le même: chez Scorcese, c’est baroque ; chez Polanski, c’est élégant.

En plus, les deux films commencent exactement pareil, avec un ferry qui arrive droit sur l’écran. Seulement, alors que le ferry n°1 contient Leo, le ferry n°2 ne contient qu’une voiture vide - un fantôme?


Dans les deux films il est question d’isolement et d’enfermement. Bien sûr, il y a d’abord l’île qu’il est difficile, sinon impossible, de quitter. Mais ça va plus loin: chez Scorcese, on a de vraies de vraies prisons, avec des matons, des cellules avec des barreaux, tout ça. Chez Polanski, c’est plus subtil: la maison de Lang apparaît très ouverte, avec ses grandes baies vitrées, mais elle est tout de même entourée d’une grille gardée par des vigiles, et ressemble à une prison (dorée) avec son esthétique contemporaine très froide. Il est difficile d’y entrer, difficile d’en sortir, et en même temps elle sert de bulle à Lang et son entourage ; elle les protège du monde extérieur, un peu comme chez Scorcese. Elle est tout ça: une prison, un bunker, un aquarium.

Tu cherches à nous faire passer un message Roman?


Dernier point commun entre les deux cinéastes que j’évoquerai, mais je suis sûre qu’il y en a encore d’autres, c’est l’anti américanisme. Chez Polanski, pas de détours, le politicien est présenté comme un mauvais comédien au sourire colgatisé manipulé par les Etats-Unis, par les va-t-en-guerre de l’administration B***. Adam Lang = Tony Blair, ok, on a compris. Je trouve ce pied de nez assez culotté de la part de Polanski - comme on dit sur facebook, je «like»!. Et la satire est faite avec beaucoup d’humour, chose assez absente dans le Scorcese.



Donc voilà pour les parallèles entre les deux films, qu'il est impossible de ne pas faire quand on a vu les deux films à un intervalle de quelques heures. C'est finalement assez troublant, et on peut se demander si ça ne révèle pas quelque chose sur nos obsessions à nous.


Pour parler de mes impressions plus générales sur le Polanski, j’ai beaucoup aimé l’humour, qui contraste avec l’atmosphère lourde et oppressante, j’ai aimé le scénario diabolique et intelligent, j’ai aimé la fin absurde qui laisse bouche bée, j’ai aimé découvrir la fin trente seconde et demi avant l’Homme (ce qui n’arrive jamais). J’ai aimé tous les personnages subtils et nuancés. J’ai aimé être tenue en haleine sans toutefois mourir de peur comme dans le Scorcese. Les films à intrigue politique ne sont d’habitude pas mon genre, mais là j’ai accroché.

Mais j’ai moins aimé la minute recherche Google du Ghost - on ne résout pas une conspiration internationale en tapotant des mots-clefs sur Internet. J’ai moins aimé le rythme parfois un peu lent. J’ai moins aimé le personnage de Kim Cattrall, qui mérite tellement mieux que de passer, une fois de plus, pour la pouffe de service. J’ai moins aimé tout le bazar autour de l’affaire Polanski - au final les gens en ont plus parlé que du film lui-même.


Et la question de la fin: c’est quoi cet intérêt de Polanski pour le petit personnel asiatique? Surtout les jardiniers. En particulier ceux qui remplissent des taches absurdes: entretenir un jardin avec de l’eau salée (Chinatown), remplir une brouette avec des feuilles mortes qui s’envolent aussitôt (Ghost Writer).



samedi 13 mars 2010

Shutter Island - Martin Scorcese - 2010




Avertissement: ça va être très dur de ne rien spoiler. Très très dur. Mais je tiendrai bon.


Autre avertissement: je n’ai pas lu le livre, bien sûr, pour pas changer. Pas d’avis là dessus par conséquent.


J’ai vu Shutter Island et The Ghost Writer à 18 heures d’intervalle le week-end dernier, et il y a tellement de parallèles entre ces deux films (même si, au final, je ne sais pas trop quoi en faire) que je ne résiste pas au plaisir de vous faire du 2 en 1, exercice auquel je ne suis pas du tout habituée, mais que je m’engage à faire devant vos yeux ebahis (ou pas).


Geronimoooooooooooooo!


Shutter Island: Nous sommes en 1954. Le Marshal Teddy Daniels et son nouveau coéquipier sont chargés d’enquêter sur la disparition d’une prisonnière sur Shutter Island, une île dans la baie de Boston qui abrite un ancien fort de la guerre de Sécession transformé en asile psychiatrique pour dangereux criminels, et dont il est, en principe, impossible de s’évader. On pense à l’Ile Noire de Tintin.


Note à moi-même: toujours se méfier des îles. C'est jamais très clair ces choses là.


Dès qu’il débarque sur l’île, Teddy Daniels est observé d’un oeil suspicieux ; les policiers qui l’accompagnent ont l’air de le surveiller lui, plutôt que les prisonniers, et le personnel médical ne se montre pas coopératif.



Il n'a pas l'air super méfiant le policier?


Pour ne rien arranger, le marshal est hanté par son passé - la libération de Dachau quand il était GI, la mort de sa femme dans un incendie déclenché par un pyromane - et les visions de cauchemar qui l’assaillent perturbent son enquête.


Teddy Daniels se détourne rapidement de son enquête pour explorer le mystère de cette prison-asile qui menace de l’engloutir, car elle met sa propre raison en danger. Shutter Island est un film sur la folie : qui est fou? qui ne l’est pas? qui pourrait le devenir? la raison peut-elle être manipulée? peut-elle être maîtrisée? la paranoïa est-elle folie ou méfiance justifiée? les médecins sont-ils fous? les prisonniers sont-ils sains d’esprit? peut-on guérir? comment? à quel prix? est-ce souhaitable? est-on seul face à nos démons?


Et j’ai trouvé ça passionnant, angoissant, terrifiant. On se méfie autant de Daniels, que des médecins, des malades. Les ficelles peuvent paraître grosses ; le spectateur, dont votre très humble servante, pense pouvoir imaginer la fin, mais il est en réalité manipulé pour le croire - les dernières scènes sont stupéfiantes et dévoilent le piège des apparences. On a envie de repayer sa place pour revoir le film à cette lumière.


L’île est également une concrétisation de certaines obsessions qui font partie de l’imaginaire américain: le savant fou nazi, l’asile d’aliénés, le cimetière, la guerre de Sécession. On peut penser à la prison-hôpital psychiatrique d’Arkham où sont enfermés tous les méchants très méchants et très fous de Batman.

On peut aussi penser à l’île des Chasses du comte Zaroff, où le méchant comte européen part à la chasse à l’américain.

C’est pour ça qu’on a pu reprocher à Scorcese d’être grandiloquent, excessif, de recourir à des clichés. Moi je pense qu’il ne fait que mettre en scène le gothique américain - on est dans l’inconscient collectif. On est vraiment au cinéma, on se rend compte que c’est faux - mais peut-être est-ce voulu précisément ainsi.

Et puis c’est aussi un film sur la culpabilité américaine. Tout d’abord, la culpabilité au sujet de la Shoah, parce qu’ils ne sont pas arrivés à temps, parce qu’ils n’ont pas toujours été réglo non plus. Ca, c’est hyper explicite dans le film et hyper pas subtil, parfois même déplacé. On a droit à plein de flash backs bien esthétiques et pathétiques sur la libération de Dachau, avec des tas de jolis cadavres entassés - le pire, ce sont deux corps enlacés, dont on devine qu’il s’agit d’une fille et sa mère. Teddy Daniels, traumatisé par cette expérience, fait plusieurs liens entre le camp et l’île: les barbelés, le médecin nazi qui est tacitement comparé à Mengele. J’ai quand même trouvé que la partie sur les camps avait trop d’importance par rapport à l’intrigue, et que ça n’avait pas besoin d’être autant développé.

Aussi culpabilité par rapport à Guantanamo et Abou Ghraib peut-être - avec les prisonniers maltraités, retenus de façon injustifiée.

C’est un film sur la civilisation et la sauvagerie, la loi et les coupables.



Maintenant, je ne connais pas trop Scorcese, donc je ne pourrais pas dire si c’était le meilleur Scorcese, ou le pire, ou le typique. Mais j’ai été complètement séduite, emportée, terrifiée et j’ai marché à fond. Je recommande donc!

Mais The Ghost Writer, ce sera pour un autre jour. Comme d’habitude, j’ai trop écrit donc si je continue, je vais craquer, vous allez craquer, tout le monde sera fâché, ça ira pas du tout.

Rendez-vous donc demain ou après-demain, mais pas plus tard car après, je pars loin.



Ah oui, et la scène d'ouverture est assez drôle: Leonardo Di Caprio est pris d'un méchant mal de mer sur le ferry qui l'amène sur l'île, et on le voit vomir à plusieurs reprises - il avait l'air plus en forme dans Titanic. Tu n'assumes plus Jack Dawson Leo?

lundi 8 mars 2010

Basil - Wilkie Collins - 1852





Avertissement: comme je n'ai pas trouvé de photos potables de la couverture du livre, je vous ai mis de jolies photos de basilic - car comme chacun le sait, "basil" en anglais veut dire basilic.




Basil, jeune et innocent aristocrate (notez le degré de raffinement de ces lieux chers amis: je n’ai pas utilisé le mot de trois lettres commençant par «c» et finissant par «on», j’ai dit «innocent») tombe amoureux fou au premier regard de la fille du drapier - la belle, la sensuelle, la sombre Margaret Sherwin. Dans le bus.

(alors que son visage était dissimulé par une voilette et qu’il ne lui a pas adressé la parole - c’est n’importe quoi ou bien? Si ça vous est déjà arrivé, amis lecteurs, je veux bien manger les pages de cinq cent treize Harlequins sans me plaindre. Juste signalez-le dans les commentaires)

Le bus donc. Notre jeune fou décide sans plus attendre de l’épouser et va lui demander son avis (enfin celui de son père, parce que c’est pareil). Le père est plutôt d’accord - jugez-en, le jeunot est aristocrate! Le problème est que le père de Basil, lui, ne voudrait pas de la fille d’un vulgaire marchand. (bien vulgaire le marchand, avec sa maison de nouveau riche et ses manières de commerçant - l’argent c'est sale, vous savez bien)

Le mariage est donc contracté en secret, et puisque Margaret est trop jeune, Basil accepte de ne consommer le mariage qu’un an après. Il a le droit de lui rendre visite chez ses parents (car Mr Sherwin est grand et magnanime), mais de chair il ne saurait être question. Ce mariage secret et chaste se déroule plutôt pas mal, aussi bien que les circonstances le permettent, jusqu’à l’arrivée de l’inexpressif, glaçant, et très respectable Mr Mannion. Basil se rend alors compte que ce simple clerc possède une grande emprise sur la famille, et que pas une décision n’est prise sans lui. Au bout d’un an, le jour où les deux amoureux peuvent enfin se livrer sans retenue aux plaisirs de la chose, Basil apprend qu’il a été la victime d’une vaste machination.


(Espérons que les parenthèses cesseront dans la suite de ce billet, mais je ne vous garantie rien - elles débarquent sans crier gare. (les bougresses!))


Si vous avez surmonté l’épreuve des parenthèses, vous vous serez aperçus que j’ai un regard un peu distancié sur ce premier roman de W.Collins. Beaucoup d’éléments me paraissent peu plausibles - cette histoire de coup de foudre dans le bus, le mariage non consommé (vous en connaissez beaucoup des garçons - et des filles aussi - qui veulent bien regarder sans toucher pendant 365 jours?), et la machination me paraît un peu tirée par les cheveux. Pour le coup, les trop nombreuses coïncidences m’ont parues suspectes, et pourtant Dieu sait que je ne demande qu’à croire tout ce qu’on me dit! Disons que sur un roman aussi court, ça gêne.


Et puis j’ai trouvé la narration à la première personne un peu trop explicite, longuette et développée. Les rêves qu’il fait sont livrés clefs en main - pas besoin de consulter Sigmund pour les décoder.



Oooopsie


Mais vous serez peut-être surpris d'apprendre que cette lecture a tout de même été très agréable. Déjà parce que ça se lit tout seul, comme à l’accoutumée chez Collins. L’écriture est fluide, l’intrigue tient en haleine, même si ça n’est pas du niveau de ses chefs d’oeuvres. Il y a de la folie, de la vengeance, de la fureur, de la trahison, de la faucheuse, de l’exil, du tourment, de la baston, et je n’ai pas peur de le dire haut et fort: je kiffe le sensationnel! (et je devrais peut-être même en faire un logo) Même si le tout débarque dans la deuxième partie du roman et parait un poil trop concentré.


Il pourrait s’agir d’une histoire de détective, si Basil était suffisamment malin pour lire tous les signes qui clignotent devant lui, à l'image de son homonyme chez Disney.




Mais on ne peut pas lui en vouloir, car on est un peu comme lui: on sait qu’un truc cloche, mais on n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Il faut qu’une lettre arrive sur un plateau et dévoile tout.

On retrouve ici le Collins adepte des documents, des lettres, des extraits de journaux intimes, qui permettent de reconstituer l’histoire de Basil - car la narration à la première personne est parfois insuffisante, interrompue, parsemée de blancs.


Et puis comme d’habitude chez Collins: les personnages valent leur pesant de chocolat au lait relevé d’une pointe de sel. Si Basil est palot (même s’il faut lui reconnaître le mérite de se marier hors de son rang), si sa soeur Clara est encore pire, Margaret est séduisante en belle jeune femme emportée, sensuelle, capricieuse, indéchiffrable. Mr Mannion est très énigmatique et révèle d’un seul coup sa profonde colère intérieure, poursuivant son ennemi tel un Achab (la comparaison s’arrête là). Mais mon personnage préféré est Ralph, le frère de Basil, ce libertin dandy qui s’est frotté à la fange du continent - au contraire de son frère, il est insolent, joyeux, spirituel, jubilatoire.


Et il se pourrait même qu’il y ait une critique sociale sous-jacente dans les parages, avec cette révolte des classes marchandes contre l’aristocratie de l'Angleterre victorienne. Ce n’est pas très clair, la narration étant du côté de l’aristocrate, mais on ne peut s’empêcher de se demander si la colère de Mannion est tout à fait injustifée. Et connaissant le Wilkie Collins de No Name, on peut se dire qu'on tient une piste.


Donc on n’y est pas encore tout à fait , mais malgré tous ses défauts, le Collins qu’on aime est déjà présent dans ce premier roman. Lisez le si, comme moi, vous êtes un grand fan devant l’éternel. Sinon, faites un sort à La Dame en Blanc, Sans Nom, ou Pierre de Lune.



jeudi 4 mars 2010

Fantastic Mr Fox - Wes Anderson - 2010


Avertissement: je n’ai pas lu le livre de Roald Dahl. Je n’ai donc pas d’avis là dessus. Vous ne m’en tiendrez pas rigueur.




Je pourrais vous donner trois arguments chers amis, juste trois:

  • Wes Anderson
  • la voix de George «Hiiiiiiiiiii» Clooney
  • de petits animaux dotés d’un pelage qu’on a envie d’ébouriffer


Cela pourrait suffire à convaincre nombre d’entre vous.

(Suivez mon regard..)

(oui vous Mesdames, ne vous faites pas plus sottes que vous ne l’êtes)

Mais voyez vous, j’aime les choses bien faites, et pour cela, Mr Fox va avoir droit à un billet digne de ce nom.


Alors l’histoire, on la connaît tous: c’est un renard très malin qui décide d’aller embêter les fermiers du coin, les fait se sentir bien bêtes, et leur donne envie de se venger.



Ca ne fait que commencer.



Sauf qu’ici, les fermiers perdent tout sens de la proportion et dégainent, dans l’ordre, armes à feux, bulldozers, dynamite, camions de pompiers. Que les animaux esquivent en s’enfonçant toujours plus bas dans la terre, à travers des dizaines et des dizaines de strates (dont on se demande bien de quoi elles sont faites). Jusqu’au moment où ils décident - nomého- de répliquer à leur tour. La forêt va être transportée au delà de la forêt.

Et ça va tellement loin qu’on se demande en permanence jusqu’au ils vont aller. Quand on a l’impression qu’ils ont atteint les limites, ils se débrouillent pour aller encore plus loin. C’est très drôle, très inventif, hénaurme, ça part dans tous les sens.

Il y a du Ocean’s 11, du western, du Arsène Lupin gentleman cambrioleur, et c’est réjouissant.



La clique



Cette histoire est de plus servie par beaucoup d’humour, de détails naïfs, de bons mots, de trouvailles linguistiques (pour remplacer «Fuck» notamment) lancés par des voix posées, nonchalantes, légèrement distantes. Les voix? Parlons-en: on a les habitués de Wes Anderson - Jason Schwartzman, Bill Murray, Adrian Brody, Owen Wilson. Dans les rôles de Mr Fox, George «Hiiiiiiiiiii» Clooney (Mathieu Almaric en VF) et dans le rôle de Mrs Fox, Meryl Streep (Isabelle Huppert en VF).



Le coup du meilleur profil


Car nous sommes dans un film de Wes Anderson, et ça se sent. Mr Fox est un dandy, avec ses costumes et sa façon élégante de marcher, de parler. Il a la même prise de tête existentielle et mélancolique que les héros de Wes Anderson: comment être vieux sans être adulte? comment assumer ses responsabilités? partir faire le con ou ne pas partir faire le con?

Et on retrouve les mêmes problèmes autour des relations familiales compliquées entre adultes et enfants. Bien sûr, c’est plus fouillé dans ses autres films, et on a déjà vu le fils sous-estimé, l’adulte frustré, toussa, des centaines de fois. Mais je vous le demande: est-ce si grave quand un film est aussi ingénieux par ailleurs?

Il y a également l’interrogation sur l’instinct de ces bêtes qui, je vous le rappelle, sont sauvages. Un renard peut-il rentrer dans le rang? Peut-on civiliser un animal? Si Mr Fox est bien un dandy, parfois sa nature reprend le dessus - surtout quand on regarde sa façon de manger.


Et comme dans ses autres films, c’est très beau et poétique. Tout est illuminé d’un camaïeu de couleurs automnales très douces. Les images font penser aux planches d’un livre d’enfant, avec leur esthétique un peu naïve, brute. Les animaux ressemblent à des peluches, on a envie de les toucher, de les attraper, de jouer avec eux. Et leurs mouvements à la fois élégants et saccadés leur donnent une fragilité touchante. C’est le côté «fait à la maison» du film.




Mr Fox nous invite à l’émerveillement: par la beauté des images, mais aussi par le plaisir de la surprise, de l’inattendu, de la découverte de choses belles et bonnes (à manger). Comme cette scène sublime d’une rencontre avec un loup solitaire, fragile et majestueuse silhouette noire se découpant sur le blanc de la neige, que le renard regarde depuis son automne.