Dans «la Perspective Nevski», on suit deux amis qui se retournent sur deux femmes : le lieutenant décide de suivre la blonde, et l’artiste entreprend de suivre la brune.
Dans «le Portrait», on suit le parcours d’un étrange portrait d’un oriental aux yeux de flamme, qui semble accablé d’une malédiction.
«Le Journal d’un fou» est, comme son nom l’indique, le journal d’un fou, et on voit comment la folie est traitée dans la Russie du début du XXè à travers le délire de celui ci.
«Le Nez» raconte comment un beau jour un homme perd son nez, part à sa recherche, et le retrouve revêtu d’une redingote dans les rues de Saint Petersbourg.
«Le Manteau» décrit la volonté d’un petit fonctionnaire de posséder un nouveau manteau, sa lutte pour l’acquérir et sa satisfaction sensuelle de s’en revêtir et de parader dans les rues de la ville.
(ou dans le sens inverse si comme moi, vous commencez à l’envers)(et pourquoi pas)
Gogol décrit Saint Petersbourg un peu de la même façon que Baudelaire dépeint Paris dans les Petits poèmes en prose - par petites touches, sur le ton de la conversation, de façon très drôle et ironique. Beaucoup de quartiers sont décrits, des plus populaires aux plus bourgeois, et l’homme des foules qu’est le narrateur nous montre la Saint Petersbourg cruelle, laide, médiocre des petits fonctionnaires et des artistes sans le sou. Gogol fait également penser aux grands caricaturistes de la presse du XIX: on voit des moustaches, des barbes, des favoris se balader tous seuls (sans parler des nez). Il y en a partout, de toutes les teintes - une fois que je l’ai remarqué, j’ai focalisé dessus pendant le reste du bouquin.
L’auteur prend plusieurs perspectives très basses, triviales - l’achat d’un manteau par exemple - pour peindre une ville. Et c’est dans ce monde là que l’absurde et le fantastique débarquent mais sans faire d’éclat. Un nez qui se balade en habit militaire, ça n’étonne personne. Ce paradoxe est saisissant! Là on pense à Kafka, et à son Gregor Samsa transformé en... chose, qui horrifie son entourage, mais ne provoque pas l’étonnement outre mesure.
Gogol, ce petit malin, connaît d’avance la consternation qu’il va provoquer chez le lecteur, et il prévoit le coup dans «le Nez»: «Non, cela ne tient pas debout, je ne le comprends absolument pas... Mais ce qu’il y a de plus étrange, de plus extraordinaire, c’est qu’un auteur puisse choisir de pareils sujets... Je l’avoue, cela est, pour le coup, absolument inconcevable, c’est comme si... non, non, je renonce à comprendre. Premièrement, cela n’est absolument d’aucune utilité pour la patrie; deuxièmement... mais deuxièmement non plus, d’aucune utilité. Bref, je ne sais pas ce que c’est ça...
Et cependant, malgré tout, bien que, certes, on puisse admettre et ceci, et cela, et encore autre chose, peut-être même... et puis enfin quoi, où n’y a-t-il pas d’incohérence? et après tout, tout bien considéré, dans tout cela, vrai, il y a quelque chose. Vous aurez beau dire, des aventures comme cela arrivent dans ce monde, c’est rare, mais cela arrive.»
Mon cher Nicolas Gogol, bien essayé, mais ce n’est pas crédible.
Aussi, le rêve et le délire une part très importante dans ce recueil, en tant qu’ils ressemblent étonnamment à la réalité. Les personnages et le lecteur vont de veilles en réveils, parcourus de secousses, de soubresauts, de basculement soudains. L'illusion, les mirages forment un axe majeur de l'oeuvre.
" Eloignez-vous, au nom du Ciel, éloignez-vous des réverbères ! et vite, aussi vite que possible, passez sans vous retourner. Vous aurez de la chance si vous en sortez en recevant juste un peu d'huile puante sur votre redingote de dandy. Mais même en dehors des réverbères, tout respire le mensonge. Elle ment à chaque seconde, cette Perspective Nevski, et surtout quand la nuit, d'une masse épaisse, la couvre de son poids en séparant les murs blancs ou jaune paille des immeubles, quand toute la ville n'est plus que lumières et fracas, quand des myriades de carrosses déboulent depuis les ponts, quand les postillons s'époumonent et sautent sur leurs chevaux et que le démon lui-même allume les lampes juste pour vous montrer le monde comme il n'est pas. " ("La Perspective Nevski")
Gogol peut annoncer le courant de l’Absurde du XXe, dans le sens où la plupart de ses personnages (et leurs nez) ne trouvent pas leur place dans cette société, tentent d’y échapper par la peinture, par la séduction d’une femme, l’achat d’un manteau, mais n’y arrivent pas, ou alors pour quelques instants seulement.
Chers amis, ces nouvelles sont très drôles, bizarres, inquiétantes, et aussi romantiques, exotiques, évocatrices. Je n’ai jamais rien lu de semblable et je vous le recommande chaleureusement.
Maintenant je regrette une chose, c'est d'avoir été trop pingre pour me payer l'édition Babel avec la traduction d'André Marcowicz, et la nouvelle intitulée "Rome" (qui me parait d'emblée un intéressant contre point aux nouvelles sur St Petersbourg).
Je ne l'ai jamais lu et je vois que je suis passée à côté de quelque chose (et j'adore les articles qui comportent le mot pingre dans la dernière phrase, surtout après de magnifiques illustrations).
RépondreSupprimerJ'ai commandé les âmes mortes...
RépondreSupprimerMa lecture de Gogol (que je n'ai jamais lu) est prévue avec une amie après le temps des Fêtes! Je suis impatiente de m'y plonger, à la lecture de ton billet cette lecture sera très intéressante!
RépondreSupprimer* Rose, il n'est pas trop tard! :) et merci pour les illustrations - moi je rends grâce tous les jours à blogspot (je n'y arrivais pas avec canalblog) et du coup, je me lâche sur les illustrations de billets. Celui ci n'en compte pas moins de neuf! hahaha
RépondreSupprimer* Sibylline, tu as très bien fait, on se tient au courant, à défaut de faire la course.
* Ally, j'ai hâte de lire ce que tu en penseras! (et j'espère que tu ne seras pas déçue...)
Je voulais demander "Les âmes mortes" à Noël... maintenant j'hésite. Bon je vais demander les deux et j'aurai la surprise.
RépondreSupprimerJ'ai envie de lire Gogol (rien que pour le nom, hinhin) depuis longtemps, ta note m'a séduite.
Ton billet est génial, et me donne une envie folle de lire Gogol. Ca va faire demeurée, mais ça m'a toujours fait rire que "Le Journal d'un Fou" soit écrit par un auteur qui s'appelle Gogol... (je sors...)
RépondreSupprimer* Ofelia, demande les oeuvres complètes ! héhéhé ou si tu persistes à demander deux volumes séparés, demande l'édition Babel... On ne peut pas être pingre sur un livre à Noël..
RépondreSupprimer* Pauvre Lilly fatiguée mais qui me fait quand même bien rire, je suis ravie de t'avoir convaincue! et tu l'as fait exprès de mettre "demeurée"? N'empêche, j'avais peur de me faire lancer des tomates pour m'être (un peu) moquée de son nom, mais vous alors, vous y allez plus fort. Mais c'est ça l'avantage des commentaires, on peut doucement rigoler en cachette..
Pas encore lu, même si je suis tentée depuis longtemps! J'ai lu il y a encore plus longtemps un vieux livres de mon grand-père, "Le nez d'un notaire", d'Edmond About (soutenons les auteurs mineurs et oubliés du XIXe). Maintenant, j'ai envie de comparer!
RépondreSupprimerJe l'ai lu il y a... une éternité! Et j'ai bien envie de recommencer par ta faute! J'en garde un bon souvenir, mais quand à dire pourquoi...
RépondreSupprimerAutant j'adore ton humour et tes dessins de moustache, autant Gogol ne m'attire pas-du-tout. J'ai acheté "Les âmes mortes" sur un marché, parce que la couverture était "belle" (traduction : c'était une peinture immonde, mais j'ai une vision toute personnelle de la beauté) mais après, je me suis rappelée que c'était un roman inachevé, alors bon, ça ne m'intéresse plus.
RépondreSupprimerCe que tu en dis me paraît trop décalé pour moi... un nez qui se balade seul dans la rue, ça pourrait me faire cauchemarder.
(et j'adore le commentaire de Lilly !)
* Mo, je ne connais pas du tout cet auteur! Il est bien? Moi ça e parle toujours les chefs d'oeuvre à redécouvrir. Il faudra le proposer à Erzébeth, qui se propose comme gardienne des livres oubliés..
RépondreSupprimer* Chiffonnette, le plaisir est immense pour moi de t'inciter au crime!
* Erzébeth, je n'ai pas lu les Ames Mortes, mais comme il parait que c'est un chef d'oeuvre, je me lancerai quand même.. Et je te comprend quand tu dis que ça pourrait être trop décalé pour toi: t'as vu la couverture avec l'homme sans nez? brrr! Mais en vrai, c'est super bien, drôle, fou, donc si un jour tu es dans le mood, lance toi!
Tu vas rire, étant abonnée au magazine Lire, je le reçois un peu avant qu'il soit en kiosque et figure-toi que je découvre ce matin qu'il contient un article de 4 pages sur... Gogol!!Quand je te disais que les grands esprits se rencontrent ;-) C'est un signe, non? non, pas un cygne
RépondreSupprimer* Sib, trop drôle! Je vais voir à ma bibli s'ils ne l'ont pas.. Merci pour le renseignement!
RépondreSupprimerJ'avais dû le lire pour le bac et j'en ai gardé un très bon souvenir.
RépondreSupprimer* LN, bienvenue dans mon nouveau chez moi! (c'est Céline, la renarde dans la bibliothèque, tu venais souvent chez moi)
RépondreSupprimerMerci d'appuyer mes choix de lecture. Et j'y crois pas: tout le monde l'a eu pour le bac??
Ce soir, vers 18h à la télé: la Perspective Nevski comme si vous y étiez. Je pense que ça doit valoir le coup.
RépondreSupprimer* Sib, malheureusement je n'ai pas pu y jeter un oeil: des obligations mondaines..
RépondreSupprimerMais merci pour l'info!