dimanche 13 décembre 2009

Un Don (A Mercy) - Toni Morrison - 2008




Au printemps dernier, j’ai eu le plus grand plaisir d’assister à une lecture des textes de Toni Morrison, prix Nobel de littérature en 1993, par l’auteur herself. Elle (et sa magnifique chevelure) était venue présenter son dernier livre, A Mercy, Un Don en français. Les extraits lus m’ont émue par leur violence, leur poésie, et par la très belle voix de l’auteur qui déroulait ses propres mots de façon lente, posée, intense.


J’ai mis beaucoup de temps à lire A Mercy, bien qu’il ne fasse guère plus de cent cinquante pages - j’essayais de reproduire cette diction hypnotique dans ma tête. A Mercy n’est pas un livre qui se lit rapidement, d’autant plus son thème, la naissance sanglante du Nouveau Monde, mérite que l’on s’attarde sur chaque phrase.


On est au XVIIè siècle. L’Amérique est encore sauvage, la nature non maîtrisée, et les relations entre les hommes non stabilisées, bien qu'elles soient marquées sous le sceau de la servitude. Les noirs ne sont pas nécessairement esclaves, et les blancs peuvent être asservis ; une indienne et une européenne peuvent être amies, et un homme noir peut boire à la même bouteille qu’un homme blanc. Tous luttent ensemble contre une nature hostile et anarchique, contre la faim et la maladie, mais ce qui semble une relation harmonieuse est en réalité déjà entaché par un crime: le massacre des Indiens.


Dans Beloved, une femme tue son enfant pour lui épargner une vie d’esclave. Dans Un Don, une mère esclave cède sa fille à un étranger, en paiement d’une dette que son propre maître à elle a contractée vis-à-vis de lui. Dans Beloved, la mère est hantée par son enfant ; dans Un Don, c’est l’enfant qui est obsédée par sa mère. Le roman s’ouvre sur la voix et le Je de Florens, la petite fille dont la vie est parcourue par la blessure de cet abandon qu’elle ne comprend pas, et qu’elle confronte.


N'aie pas peur. Mon récit ne peut pas te faire du mal malgré ce que j'ai fait et je promets de rester calmement étendue dans le noir - je pleurerai peut-être, ou je verrai parfois à nouveau le sang - mais je ne déploierai plus jamais mes membres avant de me dresser et de montrer les dents.


On découvre la raison de ce choix de la mère à la toute dernière page du roman, dont les derniers mots sont bouleversants de force, de simplicité et de dignité.


On se calme, je ne spoile rien du tout.


It was not a miracle. Bestowed by God. It was a mercy. Offered by a human. I stayed on my knees. In the dust where my heart will remain each night and every day until you understand what I know and long to tell you: to be given dominion over another is a hard thing; to wrest dominion over another is a wrong thing; to give dominion of yourself to another is a wicked thing.

(pas trouvé la traduction en français)


Mais Un Don raconte aussi le microcosme dans lequel Florens vit, et au sein duquel elle découvrira l’amour, le Tu auquel elle s’adresse. Le roman est une mosaïque, composé de différents récits déconstruits adoptant le point de vue des différents personnages, sur l’histoire, mais aussi sur leur histoire. Tous parlent à travers l’auteur, qui mêle sa propre voix à la leur, offrant ainsi une langue poétique, rustre, aux accents bibliques, grammaticalement incorrecte, digne et individuelle.


La ferme est dirigée par Jacob Vaark, l’homme à qui Florens a été cédée, et sa femme Rebekka, qu’il a fait venir d’Angleterre. Il y a également Lina, une Indienne dont la tribu a été décimée par une épidémie. Sorrow est une simple d’esprit rescapée d’un naufrage. Willard et Scully travaillent pour Jacob Vaark afin de racheter le prix de leur voyage depuis l’Europe. On a ici un bel échantillon de la population de l’Amérique du XVIIè. Ces personnes parviennent à constituer une famille, utopique en apparence, mais fragile, à l’équilibre très précaire en réalité. Le serpent s’introduit sous la forme de la maladie.


Un roman court, mais magnifique, puissant, d’une grande poésie. A lire, vraiment.


Les avis de Gangoueus et de la Liseuse.

Et aussi ICB!


Post Scriptum: Après une petite intervention d'Erzébeth qui n'avait rien demandé (voir les commentaires ci dessous), je viens de me rendre compte, tout à fait par hasard, que Jacob Vaark a des airs de Jean Valjean, dans la manière qu'il prend Florens en charge. Et le mot de la fin (It was not a miracle. Bestowed by God. It was a mercy. Offered by a human.) pourrait tout à fait correspondre au héros de Victor Hugo. Il y a une petite distorsion quand même, puisque Fantine cède d'abord Cosette aux Thénardiers, mais elle finit par la confier à Jean Valjean. Comme quoi, comme quoi...


2 commentaires:

  1. Je n'ai encore jamais lu Ton Morrison, alors qu'on m'a déjà clairement dit, plusieurs fois, que c'était un auteur que je devais lire.
    Je ne prête attention qu'à ce qui m'arrange, en somme.
    Mais ça m'a l'air sombre, dur, et j'ai l'impression que c'est jamais le bon moment pour moi.
    Par contre, la couverture anglaise est bien plus jolie que la française...

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  2. meuh non ce n'est pas si sombre et dur! regarde le titre, c'est super positif! et puis ce n'est pas Les Misérables non plus, il y a de très beaux comportements humains. Roooooo attend deux minutes, Jacob Vaark est un genre de Jean Valjean en fait!

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