vendredi 18 décembre 2009

Le Maître et Marguerite - Mikhaïl Boulgakov - 1940



Avertissement: cette note contient une utilisation abusive de mots dérivés de "diable". Mais pour ma défense, Boulgakov fait pareil.





Quand j’ai su que Salman Rushdie s’était inspiré du Maître et Marguerite pour ses Versets sataniques, j’ai été quelque peu dubitative. Tout d’abord, allez savoir pourquoi, je pensais que Marguerite était une vache. Et que le Maître était... son maître.

Et pourquoi pas? (cliquez voir, l'histoire est mignonne comme tout)


Et j’imaginais une jolie petite vache - une Rouge de Lituanie, une Hinterwälder, ou pourquoi pas une Blonde d’Aquitaine - en train de brouter l’herbe bien russe de son pré enneigé, et son maître qui la tire par une petite corde.



Edit: Précieuse contribution de Sibylline


L’herbe, c’est moi qui l’avais fumé.

Parce que le Maître et Marguerite, c’est en réalité l’histoire du Diable et de ses potes qui débarquent à Moscou sans crier gare, les bougres, et qui mettent l’ambiance dans cette ville triste, sinistre, austère, asséchée, désespérément carrée et cadrée. Mais commençons par le commencement.

URSS 1930. Staline, régime totalitaire, arrestations au pif, terreur, pensée unique, censure, discours politique bidons, paranoïa, appartements communautaires, tout ça. Assis tranquillement sur un banc, Berlioz (pas Hector) et Biezdomny devisent en hommes du monde de la non-existence de Dieu. Si ma mémoire est bonne, il y était question de Kant et Saint Thomas d’Acquin mais étrangement, toute cette partie demeure très floue dans mon esprit. Un étrange homme qu’ils prennent pour un touriste, très poli et affable, vient mettre son grain de sel.



C'est lui.


Il s’appelle Woland, est spécialiste de magie noire, et se fait l’avocat du diable en défendant l’existence de Dieu. Il leur affirme également avoir assisté aux prises de tête de Ponce Pilate, et annonce à Berlioz (en passant) comment celui ci va mourir. Décapité par une femme. Ceci se vérifie très vite car Woland, bien sûr, est le



Très vite, le Diable et ses acolytes (dont un bon gros chat noir) sèment le désordre, la mort et la folie partout sur leur passage. Ils déconstruisent la société moscovite, envoient l’intelligentsia à l’asile (ou à la mort), dénudent les jeunes femmes, offrent des spectacles de magie noire, font pleuvoir des billets de banque, enlèvent des gens, réquisitionnent des appartements pour y tenir leur grand bal des Damnés. C’est que Woland sait s’amuser: dans sa destruction, il introduit jubilation, mouvement, créativité, fantaisie, humour, mysticisme et on aurait bien de la peine à ne pas ressentir de sympathie pour lui.


Wassily Kandinsky, Moscou 1

Ca c'est Moscou après le passage du diable.


Plus en tout cas que pour les individus veules, corrompus et lâches auxquels il s’attaque: les bureaucrates médiocres et mesquins, les intellectuels qui sont en réalité les chantres de la culture officielle, et dont on ne retient ni les noms ni les fonctions (hum hum). On l’aura compris, Boulgakov est ce diable qui dénonce les travers de la société soviétique dans ce J’accuse aux dehors grotesques. Il fustige la lâcheté de ceux qui n’ont pas le courage de s’opposer à ce qui les diminue. On pense à Gogol bien sûr. Et je regrette vraiment de ne pas m’y connaître (du tout) en société soviétique des années 30, car il est évident que des tas de détails sont signifiants, font référence à telle ou telle chose. Enfin bref, on ira sagement sur Master and Margarita pour mourir moins bête.

On me fait signe que je n’ai toujours pas parlé du Maître et de Marguerite. Serait-ce bien raisonnable? Je trouve mon billet déjà bien assez long. Mais puisqu’on insiste...

Le Maître écrit un roman sur Ponce Pilate, dont on trouve des extraits entre deux diableries du Diable. Son oeuvre au destin chaotique raconte l’histoire d’un homme dévasté par la lâcheté, le plus grand crime qui soit, dont il a fait preuve en condamnant à mort Jésus Christ. Cette oeuvre mène le Maître à la folie ; il brûle le manuscrit et disparaît mystérieusement. Marguerite, son amante, pactise avec le Diable afin de retrouver celui qu’elle aime, et châtier ceux qui l’ont détruit. Elle devient ainsi l’héroïne de certains des plus beaux tableaux du livre: son vol, nue, jubilante, échevelée au dessus de la campagne russe ; son rôle de reine des damnés, nue encore, lors de ce fameux bal où sont conviés Caligula et Messaline entre autres.

Et c’est le Diable auquel elle s’associe qui sauve l’oeuvre du Maître, lui qui prononce «les manuscrits ne brûlent pas», lui qui affirme la victoire de la pensée libre face au totalitarisme. L’écriture est diablerie, diabolique, mais elle n’est pas non plus sans rapport avec le divin. Et il faut croire sur parole un homme qui a mit dix ans à écrire ce grand roman envers et contre la censure, dans la maladie et la souffrance, et qui a fini par dicter les dernières corrections à sa femme sur son lit de mort.


« O dieux, dieux ! comme la terre est triste, le soir ! Que de mystères, dans les brouillards qui flottent sur les marais ! Celui qui a erré dans ces brouillards, celui qui a beaucoup souffert avant de mourir, celui qui a volé au-dessus de cette terre en portant un fardeau trop lourd, celui-là sait ! Celui-là sait, qui est fatigué. Et c'est sans regret, alors, qu'il quitte les brumes de cette terre, ses rivières et ses étangs, qu'il s'abandonne d'un coeur léger entre les mains de la mort, sachant qu'elle - et elle seule - lui apportera la paix … »


Moi aussi j’ai galéré pour écrire ce billet - c’est bien trop difficile de parler du Maître et Marguerite et je suis épuisée (d'ailleurs, si vous êtes arrivés jusqu'ici, je vous décerne une médaille)(collective). En plus, il y a tellement d'autres choses à dire. Mais allez jeter un oeil si ce n'est pas déjà fait, et revenez me dire ce que vous en avez pensé.


Les avis de Lilly, Praline, Papillon, Chimère


10 commentaires:

  1. Ah ma chère, me voilà donc médaillée ! Que dire de plus ?
    Moi aussi j'imaginais que Marguerite était un animal, c'est terrible ! Et puis on m'a dit que c'était une histoire d'amour. Du coup ça devenait très bizarre. Cependant, avant d'arriver à la moitié du livre et de rencontrer Marguerite, j'avais encore quelques doutes... Où était-elle ? Existait-elle ou n'était-elle présente que dans ce titre ? Il y avait un réel suspense...
    Ma chère, tu as bien fait de détailler le contexte politique, chose que j'ai complétement négligé dans ma propre lecture.
    Bref, ton billet mérite aussi une médaille et les illustrations aussi !
    Bon week end, miss !

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  2. je pensais sottement que je l'avais lu
    à la lecture de ton billet je dois confondre
    (mais je savais que le maître c'est le devil - rapport que je n'ai pas une maîtrise de lettres trouvée dans un oeuf kinder kamème)

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  3. C'est toujours un plaisir de lire tes analyses illustrées de façon si fantasque ! Ces portraits (enfin, peut-être plutôt la vue de Moscou après son passage !) me rendent impatiente de rencontrer Woland (je n'ai toujours lu que le roman de Monsieur de Molière de Boulgakov, mais un jour viendra, sans doute, où je replongerai dans l'oeuvre de ce drôle d'auteur...).

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  4. Parfois, je me demande comment on a pu survivre aussi longtemps sans toi. Tu as l'art de nous surprendre, et j'adore ça ! :)
    Bon, sinon, ce bouquin me terrifie tellement que je doute de plus en plus le lire un jour. Par contre, j'aimerais BEAUCOUP savoir ce que tu lis en ce moment, et ce qui t'empêche d'acheter un sac à main plus grand. Ou d'en demander un autre pour Noël, tiens.

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  5. * Praline médaillée, mais tu dis toi même quelque chose que j'ai oublié de raconter: c'est que l'histoire d'amour, on s'en fout un peu. Ce n'est pas du tout le plus important. Du coup on se demande: d'où ce titre? S'agit-il de l'ultime diablerie du diable qui cherche à divertir l'attention du lecteur vers le maitre et marguerite, pour pratiquer ses propres diableries?
    Sinon je vois qu'il n'y a pas que moi qui ait fumé de l'herbe, puisqu'on parle de marguerite vache..
    Chère Praline, ta médaille n'est pas de refus et je l'accepte très volontiers, vu comment je me suis pris la tête pour écrire un truc cohérent. Merci à toi donc ;)

    * A n g e l médaillée: tu étais plus au courant que Praline et moi, ça c'est sûr! Si tu le lis, donne en des nouvelles!

    * Rose médaillée: merci pour ces gentils mots! et oui, jette toi sur ce livre! Et après le premier podcast de Fashion, j'ai aussi envie de lire le roman de monsieur Molière. A récupérer donc.

    * Erzébeth médaillée (aussi): tes paroles font fondre mon coeur de Céline, pourtant plus résistant que le tien en ce moment. Et c'est un des plus jolis compliments qu'on m'ait fait!
    Mais pourquoi ce bouquin te terrifie-t-il? Franchement, ça n'a rien à voir avec Moby Dick, ou Proust, ou Joyce, ou je ne sais quel autre monstre sacré. C'est juste le diable qui fait des bêtises et qui envoie tout le monde à l'asile. Et ce n'est pas du tout difficile à lire! Et ce n'est même pas si long!
    Habile transition.
    Le bouquin en question est de Vikram Seth et ça s'appelle "un garçon convenable" en français, je crois. V.Seth est un des plus grands auteurs indiens écrivant en anglais, et ce bouquin est un incontournable de cette littérature. Donc je me lance courageusement. Mais c'est vachement bien en fait.
    Sinon, ce n'est même pas un nouveau sac qu'il me faudrait, mais un diable (voir l'illustration ci dessus). Et sache que je suis encore à la recherche de la perle rare, et puisque je doute que je la trouverai avant le 25, il n'y aura pas de sac sous le sapin.
    J'ai deux amours, mes sacs et mes livres. Mes sacs pour un jour, mes livres pour toujours.
    Ou l'inverse tiens.

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  6. Alors pour l'histoire du sac, "un garçon convenable" existe en format poche en 2 volumes, ce qui pourrait arranger les choses...
    Pour la vache Marguerite on dirait que ta culture aurait pâti d'un frottage au Bourvil, non? Tu t'es trahie ;-)))
    Pour le chef d'oeuvre de Boulgakov, j'avais déjà entendu évoquer Faust, mais aucune vache. Tu sais trouver des idées nouvelles! ;-))

    PS: Faut vraiment être têtue pour arriver àmettre un post chez toi!

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  7. * Sibylline médaillée, faut il vraiment arranger l'histoire du sac? ;) merci pour l'info!
    Pour la vache, je ne connais pas le film, mais j'ai déjà vu l'image! Mon inconscient j'imagine..
    Mais quand tu dis que c'est difficile de poster chez moi, tu parles du mot de passe? c'est réglé. Dis moi s'il y a encore d'autres problèmes. Merci beaucoup de me le signaler.

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  8. Comme Sybilline, en lisant les premières lignes de ton billet j'avais Fernandel en tête!
    Un gros coup de poing, ce roman, et un de mes meilleurs souvenirs de théâtre ensuite- sachant que c'était en allemand et que je n'en comprenais pas la moitié, on applaudit bein fort le metteur en scène et les comédiens.
    J'ai lu des nouvelles de Boulgakov ensuite, mais là je bloque sur "La garde blanche". Relire Le Maître et Marguerite, peut-être?

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  9. * Mo, je savais qu'on en avait fait une pièce de théâtre, avant de le lire. Et du coup je m'attendais encore moins à ce que j'ai trouvé! Comment peut on adapter ce livre en pièce de théâtre??
    Sinon mon frère vient de m'offrir "le roman de monsieur molière" du même Boulgakov - ça te tente? ;)

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  10. Celui-là, il serait indubitablement dans mes Quinze!
    Un grand livre!

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