samedi 21 novembre 2009

Le Moine (The Monk) - Matthew Lewis - 1796




Le Moine est considéré comme le parangon du roman gothique - toutes les choses inavouables qui font palpiter vos petits coeurs dépravés, toutes s’y trouvent. On va faire l’appel si vous voulez.

Le cimetière? présent

Le moine / la nonne / l’Inquisition (oui, tout ça, c’est pareil)? présent

La belle vierge persécutée? présent

Le pacte avec le démon? oui oui

Le viol? Et comment!

La torture? Toutes je vous dis!

Les petits gâteaux? Ah non, pas les petits gâteaux.


La première édition, parue en 1796 en Angleterre, a déchaîné les foules - le scandale était d’autant plus grand que l’auteur, non seulement était âgé d’à peine vingt ans, mais était un membre du Parlement. Ils sont beaux les législateurs outre Manche! En même temps, les gens se sont rués sur cet ouvrage - juste pour voir si sa réputation de perversité et d’obscénité tenait la route. L’auteur a d’ailleurs été obligé de supprimer des passages pour les éditions suivantes, afin d’échapper aux accusations de blasphème. A ce moment là, autant faire disparaître le livre tout court, puisque son propos même est blasphématoire. On pourrait rattacher cette oeuvre anticléricale à l’esprit des Lumières - on pense beaucoup à la Religieuse de Diderot.


C’est l’histoire de la chute d’Ambrosio, jeune moine fier au passé trouble, dont les talents oratoires émeuvent tout Madrid - on va à ses prêches comme à un concert de rock, et les femmes, jeunes et moins jeunes, font la queue pour se confesser à lui. Sa morale très stricte et sa chasteté sont de notoriété publique - il semble trop saint pour être vrai. Un jour, il intercepte une lettre compromettant une nonne - Agnès - qui prévoit de s’enfuir avec son amant dont elle est enceinte. Ambrosio dénonce Agnès auprès de sa mère supérieure malgré les supplications de celle-ci; Agnès est donc vouée à la mort - elle maudit Ambrosio, lui prédisant la même chute. Ce jour là, Ambrosio découvre que son ami Rosario, moine comme lui, est en réalité une femme - Matilda - qui s’est déguisée en homme afin de se rapprocher de lui. Les tourments de la chair (faible) commencent.


Je m’attendais à davantage de sorcellerie, de vaudou, de démons, de chaudrons, de profanations de sépultures (c’est une obsession!), ces petites choses là. Heureux privilégiés que vous êtes d’avoir un aperçu de ma nature dépravée! Tout cela est présent bien sûr, mais c'est une forte charge érotique qui prédomine le roman (a-t-on perdu au change?) : une fois que les vannes sont ouvertes, le violent désir sexuel d’Ambrosio le mène vers les pires excès, par l’abus de la confiance que les gens ont en lui. Ce qui fascine c’est la cohabitation, l’articulation, et même l’imbrication de ces deux natures de saint et de monstre, de victime et de bourreau.

Là nous sommes aux limites de la civilisation, puisque non seulement Ambrosio mais aussi d’autres personnages, ne respectent pas l’humanité (sans parler de la vie) des personnes qu’ils ont en leur pouvoir. Le lecteur moderne sera sans doute moins choqué qu’un contemporain de Lewis, mais si on passe outre les amourettes dont on se fiche, on comprend qu’une véritable barbarie est à l’oeuvre, belle dans son absolu. Et quand on croit être arrivé au bout de l’horreur, la fin change la donne, et alors, respirez un bon coup mes amis.


J’ai beaucoup aimé la figure des femmes dans ce roman: si elles sont maltraitées et mènent une vie misérable, elles ont tout de même une volonté de maîtrise, et montrent une grande insolence et indépendance d’esprit. Bien sûr, je ne parle pas ici d’Antonia, l’oie blanche qui est la proie d’Ambrosio. Elle est d’une bêtise! Elle écoute tout ce que maman lui dit (laquelle maman déchire les pages de la Bible qui lui paraissent un peu trop olé olé, afin que sa fille ne soit pas exposée au vice)(notez comment Lewis se moque!), n’a aucun recul sur les événements. Il faut qu’Ambrosio lui saute littéralement dessus pour qu’elle comprenne que le monsieur ne lui veut pas que du bien - ou alors pas celui auquel elle pense.


L’intrigue est complexe, bien menée, avec de nombreuses histoires en parallèle, des digressions, des points où se recoupent les différents récits. Il faut suivre. Ce que j’ai bien aimé, ce sont les détails infimes au début du roman qui sont en réalité les indices d’autres histoires. J’ai trouvé la construction parfois maladroite - une digression trop longue, qui arrive sans crier gare par exemple - mais ce n’est pas gênant. Il y a deux fins, dont l’une m’a ravie, transportée, horrifiée, et l’autre m’a déçue. Je vous laisse le soin de deviner laquelle et laquelle - car vous lirez ce roman, n’est-ce pas chers amis?


Bien sûr il faut y croire un peu, bien sûr il faut se faire bon public, bien sûr il faut se laisser guider. C'est excessif, ça va dans tous les sens, mais cette oeuvre se lit d’une traite, ses images frappent et demeurent longtemps en vous - et ce n’est pas Artaud ou Breton (grands fans devant l’Eternel) qui me contrediront.


L'avis de Lilly, un poil moins convaincue.


13 commentaires:

  1. J'ignorais l'intervention de King pour Rushdie. Merci de nous l'avoir apprise. Je ne la trouve pas vraiment étonnante, par contre Dahl!!
    Pour ceux qui n'ont pas lu les versets sataniques, c'est un truc à faire et en plus c'est un vraiment bon bouquin, pas du tout difficile à lire, ni ennuyeux.Je n'arrive toujours pas à comprendre qu'on puisse l'attaquer ainsi.

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  2. Juste en réponse à ta minute People, je ne suis absolument pas étonnée par la réaction de Stephen King, qui est un grand monsieur, vraiment. Super auteur, et faut lire son Anantomie de l'Horreur, vraiment super intéressante :)

    Quant au Moine j'ai du le lire il y a bien 20 ans, mais je n'avais pas été convaincue... A relire, peut-être.

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  3. Et pour "le merveilleux billet ci-contre ", c'est moi qui devais le dire!

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  4. C'est le roman gothique que je préfère ; j'ai une tendresse particulière pour l'épisode de la pécheresse ensevelie. Et la fin que tu n'aimes pas est-elle celle suggérée par la couverture ?

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  5. Je me souviens très bien avoir lu ce roman, je me souviens avoir beaucoup aimé, mais je ne me souviens pratiquement pas de l'histoire (ce qui est fâcheux). Ton billet est excellent (pauvres petits gâteaux !), et me donne envie de redécouvrir ce roman.
    Dis-moi, tu as un rythme de lecture particulièrement soutenu depuis que tu es revenue, ou tu parles de lectures que tu as faites avant ton come-back ? (oui, je me pose des questions existentielles).

    Je n'ai jamais lu "Les versets sataniques", mais si j'écoute Sibylline, je comprends que c'est une lacune. Encore une. Soupir.

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  6. Mon premier roman gothique... et le seul, en fait. Mais j'avais a-do-ré (même si, comme Erzébeth, il ne me reste pas grand chose de l'histoire). Il m'en reste plutôt des ambiances, des images de grilles d'églises et de cachots humides.

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  7. * Sib, une fan de Rushdie, dans mes bras! :) moi j'ai trouvé les Versets Sataniques super difficile à lire - mais c'était une lecture mémorable! Faudrait que j'en dise un mot dans ces lieux..
    Et merci pour ton gentil compliment - mais tu sais que j'étais un peu ironique n'est-ce pas? :)

    * A n g el, merci pour le conseil de lecture! de Stephen King je n'ai lu que Carrie, Simetierre (ou Cimetierre?) que j'ai adoré! Par contre Ca, je ne l'ai pas trouvé terrible.
    Sinon pour Le Moine, c'est sûr qu'il faut être dans l'ambiance, sinon on n'accroche pas vraiment..

    * Rose, non c'est l'autre fin que j'ai trouvé un peu nulle - celle de la couverture déchire tout!

    * Erzébeth, je savais que tu ne serais pas loin de ce bouquin..
    Pour répondre à ta question, ce que j'ai commenté jusqu'ici sont des lectures faites cet été - où j'avais effectivement un rythme effréné! (comme une envie de rattraper le temps perdu) Mais en ce moment je lis moins vite, et ça me fâche beaucoup.
    En ce qui concerne ta lamentation, je ne te dirai que ceci: plus on lit, plus il y a à lire. Tellement de livres, si peu de temps!

    * Mo, c'est exactement ça! les images nous restent!

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  8. J'avais adoré ce roman, lu il y a longtemps. C'est terriblement dépravé, mais qu'est-ce que c'est bon (même sans les petits gâteaux:))).

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  9. J'avais prévu de le lire mais là j'en ai encore plus envie :) Rien que pour la couverture, ça vaut le coup de l'acheter.

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  10. Ton billet est vraiment très intéressant! Je ne suis pas du tout surprise ce que tu dis concernant le scandale de ce livre (et ta note sur le côté concernant un parallèle avec Rushdie et King).
    J'ai terminé il y a peu Les mystères d'Udolphe. Tu me donne envie de lire celui-ci!

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  11. * Fashion, je savais que ça te parlerait. :)

    * Ofelia, lance-toi! et c'est vrai que la couverture est assez racoleuse.. pour notre plus grand plaisir! :)

    * Allie, merci beaucoup! Il faudrait que je lise Les mystères d'Udolphe, il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin!

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  12. Cachots, tortures, inquisition, mais c'est merveilleusement rafraichissant comme programme ! Pas de dragon par hasard ? non ? ah, tant pis... Encore un à demander au père Noël. Oui, je sais je suis nulle en littérature britannique. Mais tu sais que je galère toujours sur Ulysse !!!

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  13. * Praline, ah non, pas de dragon.. mais il y en a un dans Bilbo le Hobbit si ça t'intéresse! je te dis ça parce que je suis en train de le lire.
    Et concernant Ulysse, je ne comprend même pas que tu y sois encore! Mon exemplaire est puni pour agression psychologique pour au moins quelques années encore!

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