samedi 16 janvier 2010

Bright Star - Jane Campion - 2009


« A thing of beauty is a joy forever.»


Et en effet, ce film est une joie qui demeure.

Il ne s’agit pas d’une biographie de Keats, mais de son histoire d’amour avec sa jeune voisine: Fanny Brawne. Tout semble les séparer: elle vient d’une famille aisée, n’entend rien à la poésie et s’épanouit dans ce travail domestique et trivial qu’est la couture - la demoiselle est une fashion victim, une belle des bals et une femme moderne.




John Keats est un jeune poète désargenté qui dépend de la générosité de ses amis, se fait assassiner par la critique, et n’arrive plus à écrire.


Ils vont pourtant s’aimer, avec toute la force d’un premier amour, et c’est cet amour q ui va inspirer à Keats ses plus grands poèmes. La force du film tient à ce que cette poésie n’est pas clamée, soulignée et mise en relief en tant que chose écrite, mais au contraire: la poésie de Keats est distillée dans chaque plan et va de soi, ainsi que les feuilles viennent à l’arbre, comme Keats le revendique. Il y a un lien naturel entre la poésie et la vie, et en effet, le film de Jane Campion est tout entier inscrit dans la nature, dans les saisons qui passent. Il y a deux plans magnifiques qui se répondent: quand on voit Keats allongé sur la cime des arbres, puis quelques scènes plus loin, quand une rime se produit avec Fanny Brawne assise parmi les bleuets.




Chaque plan est magnifique, fait sens et pourrait constituer un tableau. La dimension très domestique du film - avec les enfants qui jouent, le chat, les travaux de couture - fait beaucoup penser à Vermeer par exemple. Les scènes dans la nature rappellent fortement les impressionnistes aussi. Maintenant on a reproché à Jane Campion d’être académique - comme si le beau était académique.

La dimension domestique du film, l’intimité du quotidien, rend l’amour entre les deux j eunes gens très présent - j’ai trouvé ce film à la fois vibrant, sensuel, et subtil, pudique. Un simple contact de deux mains , le bruit d’une respiration, les paumes appliquées à une cloison, tout cela donne le frisson - et Keats et Fanny Brawne semblent fous de bonheur quand leurs doigts sont simplement entrelacés. Le film n’a pas besoin d’en montrer plus pour exprimer leur amour. D’ailleurs, j’ai remarqué que la musique était très peu présente. On a reproché à ce film d’être froid: j’ai ressenti tout le contraire.


Je n’ai parlé que de Keats et de Fanny Brawne, mais il faut savoir qu’une autre perso nne est présente et s’immisce dans leur couple: c’est l’ami de Keats, Brown. Bright Star est en réalité l’histoire d’un ménage à trois. Une homosexualité latente existe entre les deux hommes: Brown est très possessif, jaloux de Fanny Brawn, qu’il considère comme une coquette, une séductrice qui détourne son ami de la Poésie (et de lui-même), et leur inimitié donne lieu à des scènes de piques, de petites méchancetés assez savoureuses. Mais une carte de Saint Valentin, assassine, révèle pourtant des sentiments plus ambigus. Il semble désirer ce que l’homme qu’il désire désire.

Une source de ravissement du film vient des personnages secondaires - les enfants notamment, ces deux petits êtres aux airs de lutins, qui tiennent lieu à la fois de chaperons et d’anges gardiens. Le film s’inscrit dans l’enfance, une enfance qui parait éternelle par le caractère juvénile de l’amour, mais aussi à cause de l’intuition qu’a Keats de sa mort prochaine, alors qu’il n’a pas vingt cinq ans. Le passage des saisons, alors qu’il donne lieu à de superbes scènes dans la nature, est également fatal pour Keats.



C’est pourquoi la petite Toots rejette une feuille d’automne, car celle ci annonce l’arrivée de l’hiver auquel Keats n’est pas censé survivre s’il demeure en Angleterre. La beauté du film et la force de la passion tiennent à la brièveté de la vie de Keats, telle celle des papillons que Fanny Brawne garde dans sa chambre.


"I almost wish we were butterflies and liv'd but three summer days - three such days with you I could fill with more delight than fifty common years could ever contain."

«Je rêve que nous soyons des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été. Avec vous, ces trois jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire.»


Un film à voir absolument, non seulement parce qu’il fait honneur à la poésie de Keats, mais parce qu’il est poème. Bright Star est d’une rare beauté à chaque instant, et à cela s’ajoute la beauté de la langue, des vers de Keats qui sont une véritable musique, et que l’on goûtera même si on n’est pas anglophone. A ce sujet, le générique de fin est un des plus beaux moments de tous. Je n’en dis pas plus, pour vous laisser la surprise.

Et aussi, chose très importante, mention spéciale au chat, qui mériterait l’Oscar du m eilleur acteur dans un second rôle. On dirait vraiment qu’un script a été écrit pour lui, tant il s’inscrit naturellement dans les scènes du film. Il y a un moment où il est installé sur les genoux de Fanny Brawne pendant qu’elle lit, et il semble lire avec elle. Dans La Nuit américaine, François Truffaut demandait qu’on lui apporte un chat qui sache tourner - il aurait été comblé avec Tobber (c’est son nom).



L'avis d'Ys, aussi favorable que moi, et aussi Yohan, moins conquis, et celui de Gio, enthousiaste! Rob en parle très bien aussi.

11 commentaires:

  1. oui il me tente vraiment ce film, et ta critique vient de me décider pour de bon :-)

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  2. J'ai l'impression qu'on a vu le film avec les mêmes yeux et que nous avons le même ressenti : les tableaux, la peinture flamande, la sensualité, les objets du quotidien... et le chat ! Je n'en ai pas parlé dans mon billet, mais il est raiment très bon, ou alors les acteurs et la réalisastrice très patients car quel naturel en lui aussi !

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  3. Quel article lumineux ! j'espère que mon cinéma va vite obtenir une copie de ce film... et j'ai toujours été intriguée par les chats au cinéma, la plupart en effet semblent lancés sur le plateau pour faire de la figuration et paraissent tout sauf naturels !

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  4. Ton article est incroyablement bien écrit. Les films de Jane Campion ont souvent cet effet-là sur moi donc je pense que j'aimerais Bright Star. Sans l'ombre d'un doute.

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  5. * a n g e l, tu me diras ce que tu en as pensé!

    * Ys, j'ai lu ton billet (linké depuis!) et en effet, on a vu les mêmes choses! Quant au chat, je fond rien que d'y penser.

    * Rose, merci! :) Et si ton cinéma est un art et essai, ça devrait passer tôt ou tard... Et en parlant du chat, il fait tellement naturel, dans son élément. Il est trop cool!

    * Merci Ofelia! J'ai hâte de lire ce que tu en penses. Je n'ai pas vu d'autre Jane Campion, mais s'ils sont comme celui ci, je deviendrai fan!

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  6. Je vais me faire taper, mais je n'ai pas aimé... :(
    Je fais partie de ceux qui l'ont trouvé beau, mais qui n'ont ressenti aucune alchimie entre les acteurs principaux, et qui trouvent que les thèmes abordés le sont bien faiblement...
    Mais si tu ne connais pas "The Piano" de J. Campion, fonce !

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  7. * Lilly, moi je suis gentille, je ne vais pas te taper dessus. :)
    J'en ai parlé avec plusieurs personnes, et c'est vrai que parfois je n'ai pas l'impression qu'on ait vu le même film. Il y en avait qui trouvaient qu'il n'y avait pas d'histoire, d'autres qui ne comprenaient pas pourquoi ils tombaient amoureux, et d'autres encore (dont toi) qui le trouvaient froid. Je n'aurais pas trouvé ces défauts toute seule, mais je vois pourquoi on a pu les ressentir. Cela dit, je pense toujours ce que j'ai dit, et il se peut même que j'aille le revoir! :)

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  8. Impossible de faire un billet après toi!! :-) J'ai adoré ce film, la beauté de chaque plan qui atteint la perfection dans la composition, les couleurs, les mabiances... C'est un beau et grand moment de cinéma qui s'entrelace avec une poésie que j'ai aimé, alors que j'y étais réfractaire!

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  9. * Chiffonnette, ne dis pas ça! J'en suis toute rougissante.. Mais je suis ravie que ça t'ait plu à toi aussi!

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  10. Je viens de voir le film et je suis d'accord avec tout ce que tu dis ! ça m'étonne qu'on reproche au film sa froideur, alors que je trouve les deux acteurs très intenses, surtout Fanny, dont le personnage évolue de façon assez cohérente, en plus.

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  11. * Rose, ravie que tu aies aimé! Mais tu sais que beaucoup de personnes très respectables l'ont trouvé froid? C'est incroyable d'avoir des perceptions aussi différentes!

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