vendredi 5 février 2010

Les Enfants de Minuit (Midnight's Children) - Salman Rushdie - 1981


Note: Vous DEVEZ lire ce livre! Limite, ne lisez pas ma note et croyez moi sur parole.





Vous êtes encore là? Hommes de peu de foi.





Les Enfants de minuit est THE livre qui a lancé l’émergence de la littérature indienne sur la scène internationale. Il a reçu le Booker Prize, l’équivalent du Goncourt en Grande-Bretagne, l’année de sa publication, et également le Booker of Bookers, distinction d’entre les distinctions, pour le 25è anniversaire de cette récompense.

Si Salman Rushdie est surtout connu pour l’affaire de la Fatwa - sa condamnation à mort par l’ayatollah Khomeini, pour l’écriture des Versets Sataniques - les Enfants de minuit est son plus grand roman. Il est même considéré comme un des plus grands romans de langue anglaise.

Et pour la petite histoire, sachez que Salman Rushdie a quand même eu des ennuis pour ce livre là aussi, à cause du portrait terrible qu’il y dresse d’Indira Gandhi («The Widow»/ «la Veuve»). Une vraie méchante super méchante. Vous me direz, elle n’avait qu’à pas être aussi vilaine. Oui mais tout de même, franchement, il cherche la merde.


C'est la photo la plus inquiétante que j'ai pu trouver d'elle. En général elle sourit sur les photos.




Il y a cette caricature aussi. Elle fait assez super méchante.




Tout commence avec la naissance d’un enfant, de mille enfants en fait, le 15 août 1947, c’est-à-dire le jour de l’Indépendance de l’Inde. Il est minuit, et les horloges joignent leurs mains pour les accueillir. Ces enfants ont en effet une destinée exceptionnelle, intimement liée à celle de leurs pays - et en plus de ça ils ont tous des supers pouvoirs. Il y avait les Quatre Fantastiques - là ils sont mille. (Il n’y a pas une série comme ça aussi?)


On les suit de 1947, l’année de l’Indépendance, à 1977, l’année de la déclaration de l’état d’urgence par Indira Gandhi, à travers le regard de Saleem Sinai, l’enfant le plus remarquable d’entre tous. Non seulement il est né exactement sur les douze coups de minuit, c’est-à-dire au moment même où l’Inde devient indépendante, mais il est doté du don de télépathie. Ainsi, Saleem est celui qui unit les enfants de minuit en parlement, leur permet de demeurer en contact et de débattre des grandes affaires politiques, linguistiques, culturelles et religieuses de leur pays (puisque je vous le dis).


Salman Rushdie a eu l’idée d’une telle intrigue, étant lui-même né l’année de l’Indépendance, et jugeant qu’il avait grandi et mûri avec l’Inde. Il a d’ailleurs réalisé un reportage pour les 50 ans de l’Indépendance (il me semble), où il interviewait des personnes de tout le pays nées en 1947, pour qu’elles fassent le bilan de leurs vies et de celle du pays.


Les Enfants de Minuit, c’est aussi l’histoire d’un homme, Saleem donc, qui se prend pour l’Inde - il souligne souvent que son visage figure la carte du pays après la Partition et évolue en même temps qu’elle. En même temps, si moi aussi j’avais un nez énorme qui coulait tout le temps, j’aimerais compenser en le comparant au sous continent indien.



Vous voyez ce qu'il veut dire?



L’Inde est en réalité une périphérie, au centre de laquelle se tient Saleem, qui interprète tous les événements à partir de sa propre expérience et surtout de ses souvenirs (absolument pas fiables, bien entendu). Dans la vraie vie, c’est très irritant, mais ici, c’est délectable. (Et c’est pour ça que ce n’est pas grave si, comme votre humble servante, on ne connaît rien à la politique indienne depuis l’Indépendance.) (Je sentais que ça vous travaillait) En effet, comme tout passe par le prisme Saleem, les choses nous sont rapportées complètement déformées, teintées de rêve, de magie, d’imagination, d’humour. Les Enfants de Minuit est un conte.


C’est l’histoire d’un homme, mais c’est également l’histoire d’une multitude. Une des phrases les plus importantes du roman est d’ailleurs: «Most of what matters in your life takes place in your absence» («les événements les plus importants de votre vie ont lieu durant votre absence.») Si on en croit Rushdie, pour raconter une vie, il faut raconter un milliers d’autres, car toutes sont liées et on ne peut comprendre une personne si on ne comprend pas l’univers. En gros. C’est pourquoi Saleem met une centaine de pages à naître. Donc les digressions s’enchaînent allègrement, et on pourrait presque dire que tout est digression, à la manière de Tristram Shandy.

Le texte se renouvelle sans cesse de ces histoires périphériques, se nourrit de lui-même, se répand, grandit, jusqu’à contenir des multitudes. De plus, chaque digression change la donne et remet l’histoire en perspective. Les Enfants de Minuit font beaucoup penser aux Mille et Une Nuits : on a un conteur (Saleem), un auditoire (nous et sa femme), et une infinité d’histoires racontée sur plusieurs jours. Il est aussi intéressant de noter dans la tradition indienne, le récit oral ne suit jamais une ligne droite, mais dévie toujours en arabesque, afin de maintenir l’attention de l’audience. Et en effet, on est tenu en haleine.


Ce qu’il y a de remarquable aussi, c’est le mélange est-ouest propre à Rushdie. On a ainsi beaucoup de références au panthéon hindou et aux légendes indiennes, aux grands textes fondateurs comme le Ramayana, le Mahabharata.

Mais on a aussi beaucoup d’emprunts à la littérature occidentale, et d’interprétations - Dickens et ses personnages, Sterne et ses digressions, Rabelais et son hénaurmité, Cervantes et son anti-héro sur la route, Conrad et sa jungle.

Réjouissant!


Oui, c’est le mot de la fin: RE-JOU-I-SSANT!









16 commentaires:

  1. Bravo, ton commentaire est vraiment excellent. Mais je dois avouer que je n'arrive pas à retrouver le visage de Rushdie sur la carte de l'Inde. Il est tourné vers l'est ou vers l'ouest?
    Me dis pas qu'il est de face!

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  2. Ouh la la! Rushdie, c'est un monstre sacré et je me suis jamais vraiment intéressée à son oeuvre, peut-être par peur de passer à côté...

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  3. Okay, c'est vendu.
    (c'est que j'ai peur des représailles, aussi)
    Sinon, par simple curiosité, ça fait beaucoup de pages ?

    Tu peux pas savoir, en tout cas, comme tes billets sont des petits diamants qui brillent dans le firmament de ma vie. Entre ton humour et ta kulture, c'est un régal !

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  4. Depuis le temps que je me dis, que je me répète, que je clame à qui veut l'entendre qu'il faut que je lise Rushdie parce qu'il me fascine et que j'ai très très très envie de le découvrir.
    Il y a TROP de livres à lire!

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  5. Tu me fais rire avec ta photo d'I. Gandhi ! Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire ?
    Sinon, je lirai Rushdie cette année, j'en avais déjà l'intention depuis ton dernier billet.

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  6. J'ai ADORE ce roman. Totalement, intégralement, absolument. Il est drôle, enlevé, profond, émouvant, en un mot total. Il faut le lire, les filles, écoutez Céline!!!

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  7. Je n'ai jamais eu très envie de lire Rushdie, mais là... tu es bien tentante!
    Et puis je regarde ma PAL, qui commence à pleurer dès que j'évoque un livre qui n'est pas dedans. Il va me falloir un coeur de pierre, ça tombe bien, je crois que j'en ai un quelque part en réserve.

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  8. * Wow, merci Sib :) Alors sur ce coup ci, il ne s'agit pas de son visage, mais de son nez, le nez étant l'Inde (la pointe du nez vers le bas), et la goutte de morve (sympa...) étant le Sri Lanka. Saleem se plaint souvent de son nez dans le roman. :) Je ne sais pas si je suis claire. Mais parfois, c'est l'Inde entière qu'il compare à son visage.

    * La plume et la page, si tu veux, tu peux commencer plus doucement avec "La Honte" ou alors "L'enchanteresse de Florence", commenté previously on Casa Nova. :) Regarde l'index en bas de la page. Ces deux oeuvres sont plus accessibles, mais pas tellement moins brillantes.

    *Oh Erzie, c'est toi l'étoile dans mon firmament de l'Internet mondial :) ne me dis pas des choses comme ça, je ne sais plus où me mettre.
    En fait si, continue :))
    Comme j'ai dit à La Plume et la page juste au dessus, tu peux commencer par du plus soft. Et j'avoue que les Enfants de Minuit c'est exigeant, mais c'est du pur bonheur. Cf le commentaire de Fashion juste en dessous.
    Ah, et c'est un peu moins de 700 pages. Oui je sais.
    En plus, en ce moment, tous les livres qui m'intéressent font au moins 700 pages, je N'EN-PEUX-PLUS

    * Ofelia, lance toi! et surtout, tiens nous au courant!
    Je suis pareille que toi, je ne sais plus où donner de la tête avec tout ce qu'il me reste à lire - parfois je ne sais même plus si c'est une bonne ou une mauvaise chose.

    * Lilly, en voilà une nouvelle qu'elle est bonne! :)
    Et pour Indira Gandhi, je n'ai pas tout compris (et Saleem ne nous aide pas vraiment à comprendre), mais en fait, elle n'a pas eu une élection très nette, et pour éviter d'avoir à démissioner, elle a proclamé l'état d'urgence et s'est autocouronnée dictateuse. Elle se débrouille pour avoir de plus en plus de pouvoir, arrêter tous ses opposants, la routine quoi.
    Dans le livre, disons qu'elle malmène les Enfants de minuit. C'est comme dans un jeu vidéo, c'est le Boss final! :)

    * Fashion, quel enthousiasme! Non mais t'as raison, il faut motiver ces jeunes! :)

    * Mo, tu es bien vilaine et tu brises mon coeur.

    *

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  9. Merci. Si l'Inde est son nez, je vois très bien (rigolo d'ailleurs) mais si c'est son (ou leur car il parle de Saleem je crois) visage entier, je n'arrive pas à visualiser. Mais bon, je crois qu'on peut dire que c'est secondaire
    ;-)))
    Ceci dit, tu as un vrai feeling pour la lecture de Rushdie, je trouve.Tu y entres impec.On te sent chez toi là-dedans.

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  10. * Quand il parle de son visage, je crois (ne m'en souvient plus bien) qu'il compare une oreille au pakistan, l'autre au Bangladesh, et l'inde étant son visage. Il a des cicatrices aussi je crois, qui figurent la partition.
    Merci pour ce que tu dis sur mon feeling. Je t'ai dit que j'ai même failli en faire mon sujet de thèse (ça me dit quelque chose)? Malheureusement, c'est tombé à l'eau :(
    Il aurait été trop étudié ces dernières années, et stratégiquement ce n'était pas une bonne idée :(
    Donc je me réoriente!

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  11. Je me suis mal exprimée: le coeur de pierre, c'est face à la PAL qui pleure. Pas face à Rushdie, parce que tu donnes vraiment envie. Lecture cette année, je pense!

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  12. J'ai consacré ma Maîtrise (il y a déjà 5 ans, ça fait flipper de dire ça mine de rien) aux Indes (dans l'empire britannique donc puisque maintenant c'est l'Inde au singulier) et du pourquoi du comment en moins de 100 ans ils ont obtenu l'indépendance.
    Tout ça pour dire, une raison de plus de lire ce livre. Je pensais commencer Rushdie avec "The Satanic verses" oh dis donc, que c'est original mais finalement, je vais choisir celui-là :)

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  13. * Mo, ça change rien: tu restes bien vilaine - pauvre petite PAL sans défense! ;)))
    (Tu nous tiens au courant pour Rushdie hein. Et je suis toute contente de t'avoir pris dans mes filets)

    * Ofelia, ah bah oui, il faut que tu le lises là. Plus d'excuses. Très intéressant comme sujet de maîtrise soit dit en passant!

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  14. Enorme coup de coeur pour ce roman ! En effet, croyez la sur parole !!

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  15. Je ne lis ton billet qu'en diagonale car celui-ci est déjà sur ma LAL... J'ai d'ailleurs découvert Rushdie grâce à ton billet sur L'Enchanteresse... Gros coup de foudre!

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  16. * J'en suis absolument ravie! Vraiment!

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