vendredi 4 décembre 2009

L'Enchanteresse de Florence (The Enchantress of Florence) - Salman Rushdie - 2008*




J’ai une affection particulière pour ce livre, puisque c’est le premier que j’ai lu une fois libérée de mes obligations estudiantines au printemps dernier. Je l’ai pris par hasard, un peu à cause du titre, mais quel choix heureux! D’abord parce qu’il s’agit d’un roman merveilleux, qui m’a ravie, transportée, que j’ai déjà relu depuis et que je relirai encore. Ensuite parce qu’il m’a introduite à l’oeuvre du très grand Salman Rushdie, qui a désormais une place de premier choix (qu’il s’en sente honoré!) dans mon coeur et mes tripes de moi - et Dieu sait que je suis vaste, si je peux contenir des multitudes!


Il y a du Mille et une nuits dans ce roman - le conteur ici est un jeune voyageur venu d’Europe, vêtu d’un immense manteau d’arlequin dans lequel il cache un secret. Ce secret, il ne peut le raconter qu’au plus grands des rois: Akbar, l’empereur mogol.



C'est lui.


Bientôt, ce récit obsède non seulement Akbar, mais la Cité entière, et pour cause: il raconte l’histoire et le destin d’une princesse mogole disparue, Qara Köz, la Dame aux yeux noirs, l’Enchanteresse de Florence. Dans son récit, il est question d’aventures à travers le monde, d’Inde jusqu’aux Amériques, d’amour passion, de miroirs humains, de géants albinos, de mandragores, de courtisanes, d’évasions, de guerres.

Mais cet immense conteur qu’est Rushdie nous décrit également l’Inde d’Akbar, et tout porte à l’émerveillement: le lac d’or, les parfums magiques, les peintures habitées, les éléphants fous, les querelles de cour, les princesses, celles qui existent, celles qui n’existent pas, celles qui ont existé.

Du Mille et une nuits aussi du fait de la grande sensualité des personnages: il y est toujours question de séduction, de désir, entre femmes, entre hommes, entre femmes et hommes - et le conteur nous dévoile le secret des pommades aphrodisiaques, des gestes précis qui suscitent l’extase amoureuse.


Je vous explique.


Il y a un petit développement sur la palpongulation - en gros, l’art d’utiliser ses ongles pour faire plaisir à l’autre. C’est ce qu’Akbar préfère - moi je dis, ce qui est bon pour le roi des rois est bon pour tous. Il y en a sept types, dont les Trois Marques Profondes , le Sautillement du Lièvre, le Pas du Paon. Ce dernier est très concept - je vous laisse découvrir. Oui c’est fini, bande de dépravés (les conseils techniques, pas le billet).


Un roman véritablement enchanteur donc, défini par le voyage. Le voyage à travers le monde, mais aussi à travers le temps, à travers les genres (féminin et masculin). On dépasse aussi la frontière des concepts: Qara Köz est si belle qu’elle redéfinit la notion de la Beauté elle-même.


La frontière entre le réel et l’irréel elle-même est perméable. Ainsi, il est question de l’épouse favorite d’Akbar: Jodha, la reine parfaite, d’une grande sagesse et experte en caresses. Elle est le pur fruit de l’imagination d’Akbar, sa création - elle n’existe pas, mais elle existe quand même. Toute la cour tient compte de son existence, et le roman lui attribue une conscience - c’est vertigineux.



Elle n'existe pas. (mais Aishwarya Rai oui)


La caractéristique de ce texte est donc la tension entre le magique et le factuel - l’irruption du merveilleux dans l’histoire des villes et des grands personnages les ayant bâties. Ce texte est extrêmement documenté, il n’y a qu’à voir l’impressionnante bibliographie à la fin. C'est si historiquement exact, que les événements merveilleux paraissent vrais aussi. Qara Köz semble avoir réellement existé, puisque ces grands personnages ont été témoins de son histoire.On y voit Machiavel, Boticelli, les Médicis évoluer dans les rues de Florence, dans les palais, dans les forêts. Florence vit sous nos yeux, on la voit s’animer, on voit l’Arno couler.


« Imaginez les lèvres d'une femme qui s'arrondissent pour donner un baiser, murmura Mogor. Telle est la cité de Florence. Etroite aux extrémités, gonflée au centre avec l'Arno qui coule au milieu, séparant la lèvre supérieure de la lèvre inférieure. La ville est une enchanteresse. Quand elle vous donne un baiser, vous êtes perdu, qui que vous soyez, homme du peuple ou bien roi. »


De même, la cour d’Akbar est fascinante à observer. J’ai particulièrement aimé la figure des artistes - Tansen le musicien et Dashwanth le peintre. On les voit oeuvrer dans la souffrance et leurs destins sont extraordinaires dans le livre.


Et pour finir, la prose, exubérante, très sinueuse, virevoltante, ample, poétique, tourbillonnante de l’auteur. L’écriture rushdienne est une arabesque. Rushdie semble vouloir embrasser ce monde d’Akbar et des Médicis, et la moindre histoire apparaît comme un détail sur un immense tableau du monde de la Renaissance.


Un merveilleux roman à ne pas rater chers amis! (comme tous les autres commentés dans cet espace me direz vous - eh bien non! celui ci encore moins que les autres!)


Allez lire l'article de Grominou, conquise également.


Edit janvier 2010: il semble que le livre sort en poche en français à la fin du mois.

15 commentaires:

  1. Parfois, je me demande quand même si tu ne te drogues pas. Puis après, j'oublie de te poser la question.
    Je ne suis pas sûre d'avoir saisi toute l'ampleur romanesque de ce livre, mais ça donne envie quand même. La couverture que tu as mise est trooop belle.
    Sinon, je me suis coupée les ongles hier, et tout à fait entre nous : je n'ai même pas de regrets. Certaines choses font PEUR. ;)

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  2. Hein quoi comment drogues d'où?? je ne te parais pas parfaitement saine d'esprit? La palpongulation était de trop n'est-ce pas.. dire que j'étais à deux doigts d'entrer dans le détail.. sinon je suis ravie d'être informée de l'état de tes ongles, même si de toute évidence, tu ne feras pas avancer la science.. :) (je te rends la faveur, les miens ont été coupés et vernis de rouge ce matin même)

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  3. Ça fait déjà trop longtemps que je veux lire un Rushdie. Je pensais m'y attaquer avec "The Satanic Verses" (très original n'est-il pas?) mais là tu m'as convaincue.
    Si jamais tu te drogues, moi perso ça m'intéresse :p

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  4. ah, c'est vrai!! Je ne l'ai toujours pas lu celui-là.
    Pfff J'y arrive plus.

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  5. * Ofelia, si vraiment ça t'intéresses, je me drogue aux Twix et au yaourt coco ananas en ce moment. :) Mais sinon pour attaquer Rushdie, je recommande de commencer par La Honte (je crois que ça s'appelle comme ça en français - toi qui lis l'anglais, c'est "Shame"). ou l'Enchanteresse de Florence.
    Mais si tu veux foncer dans le tas, lance toi dans les Versets sataniques ou les Enfants de Minuit.

    * Sibylline, la vie est une jungle.

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  6. Tu sais ce qu'il manque ici?
    Le petit vert acidulé de ton blog précédent
    et peut-être le rose aussi

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  7. Je le note pour ma prochaine découverte de cet auteur (on y croit !)

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  8. Toujours pas lu... J'ai presque honte. Depuis notre dernier pique nique, je l'ai observé dans la bibliothèque de papa, mais toujours pas ouvert. C'est mal, je sais.

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  9. * Sib, le rose y est déjà! moins flashy, mais bel et bien là! J'ai fait une tentative de vert, je ne sais pas si ça rend aussi bien que l'autre..

    * Lilly, moi j'y crois! :)

    * Praline, tu as des circonstances atténuantes en même temps.. Et bienvenue dans ma nouvelle maison! J'ai vu que tu me fais de la pub sur ton blog tout beau et tout neuf. Merci, ça me fait super plaisir! :)

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  10. De Rushdie j'ai beaucoup aimé Les enfants de minuit et adoré Haroun et la mer des histoires. C'est un conteur hors pair. Je note donc ce titre très... mmmmh... évocateur... :)))

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  11. * Fashion: aaaaah les enfants de minuit.. je suis en train de le relire d'ailleurs <3
    Lis l'Enchanteresse - c'est pas si long et c'est merveilleux!

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  12. Je viens de le lire grâce à toi -- gros coup de coeur! Merci, merci, merci!

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  13. * Grominou, rien ne pouvait me faire plus plaisir! Je suis ravie!

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  14. J'ai vu que L'enchanteresse sort en format poche à la fin du mois. Je le signale à celles que cela intéresse. Ca le mettra à 7-8€

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