jeudi 28 janvier 2010

David Copperfield - Charles Dickens - 1849




J’espère que vous ne commencez pas à saturer de Dickens - je sais qu’il a été abondamment commenté ces derniers temps sur l’Internet mondial. Cela dit, aucune trace de David Copperfield.


Dickens est un des tout premiers auteurs que j’ai découvert, sinon le premier - malheureusement, ma mémoire me fait défaut ici. Si un étrange individu prétendant être mon géniteur se manifeste en ces lieux, et affirme qu’en vrai, mes premiers livres sont les Monsieur Bonhommes, n’y prenez garde - tout cela n’est que diffamation.



Je connaissais quatre romans par coeur: David Copperfield, Oliver Twist, Les Grandes espérances, et Un Conte de deux cités. Je les ai lus des dizaines de fois chacun, et certaines images m’ont accompagnées depuis, comme David se faisant battre par son beau père, Miss Havisham et son gâteau moisi, Pip dans le cimetière, Oliver et sa gamelle. Je me suis donc imaginé - à tort - que je n’avais pas besoin de les relire, que tout ça faisait partie de moi, et que je maîtrisais grave.


Mais récemment, je me disais que ça faisait quand même une douzaine d’années que je n’avais pas remis le nez dedans. Un de mes voeux pour cette année étant de relire, j’ai relu, et j’ai commencé par David Copperfield. Il s’agit de la vie de David Copperfield racontée par David Copperfield, de son enfance malheureuse et misérable à son mariage, à son statut d’auteur à succès - du looser au beau gosse en somme.

Lorsque David naît, il n’a déjà plus de père, qui meurt six mois avant sa naissance. Il ne manque cependant pas d’amour, entouré qu’il est de sa jolie mère, jeune et frivole, et de sa nourrice Peggotty. Un jour, son bonheur disparaît avec le remariage de sa mère avec Edward Murdstone, dont la soeur emménage avec eux peu de temps après. David et son beau père se détestent et ne s’en cachent pas (ambiance). Toute relation devient impossible le jour où Murdstone lève la main sur David, et où celui ci le mord pour se défendre. David est alors envoyé loin de chez lui en pensionnat, où il fait la rencontre de Steerforth le beau gosse et de Tommy le boulet.



Bizarrement, de David Copperfield, je n’avais retenu que l’enfance, sûrement parce que je ne comprenais pas les histoires d’adultes, avec leurs mots bizarres comme «dettes», «droit», «lois». En relisant, je vois ce qui m’attirait dans cette première partie: c’est la dimension de conte, avec la jolie maman, le beau père monstrueux, la maison-bateau, le pensionnat de garçons où ils se racontent des histoires la nuit venue. Jane Eyre et David Copperfield seraient ici à comparer - comme si les deux adultes qui racontent leurs parcours réinjectaient dans leur discours la part de merveilleux qui leur avait été nécessaire pour supporter les vexations et privations de leur enfance d’orphelins.


Mais cette fantaisie, jamais dépourvue d’humour, se retrouve dans tout le roman, de façon plus ou moins appuyée, et je pense que c’est ce que j’aime chez Dickens. Donc une bonne fois pour toutes: NON, Dickens n'écrit pas ses histoires d'orphelins pour faire pleurer dans les chaumières. NON, Dickens n'est pas larmoyant. NON, ce n'est pas uniquement sentimental.

Il plante un décor quotidien très réaliste, irréfutable jusqu’au moindre détail. Londres est ici un véritable personnage, avec la description des rues sombres, ses cabinets d’avocats, ses commerces. Puis il introduit des personnages étranges, avec une légère distorsion. Par exemple, Uriah Heep est un personnage très crédible: il s’agit d’un pauvre associé d’avocat prêt à tout pour réussir. Mais la narration lui donne une viscosité, une onctuosité, une malignité, qui le rendent proprement dégoûtant, à la façon d’un Jafar. Un autre personnage, M.Dick, est considéré comme un peu fou, obsédé qu’il est par Charles 1er (et pourquoi pas?) et les cerfs volants. Même quelqu’un comme Tommy Traddles a une part d’étrangeté, avec les squelettes qu’il dessine un peu partout. Les personnages présentent donc tous des caractéristiques bizarres, des manies qui les définissent, qui les cadrent, et qui reviennent comme des leitmotivs. Ils sont tellement fixés dans leur nature, caricaturés, qu’on dirait parfois des personnages de conte noir, ou de comédie, au choix. Vous trouvez pas que Murdstone est un nom de méchant hyper méchant?

Virginia Woolf et Henry James trouvaient que les oeuvres de Dickens n’étaient pas hyper réalistes - genre pas crédible. Malgré tout le respect que je leur dois - C’EST CA QUI EST COOL!!!



Il y a l’exception notable de David, qui n’a jamais de personnalité fixe dans le roman - il n’est pratiquement jamais appelé par son prénom, ce qui en dit long. C’est un des rares personnages à changer: il est intéressant de voir comment il reproduit certains schémas de son enfance - lui dans le rôle du persécuteur cette fois-ci.

J’ai l’impression que seuls les enfants de l’enfance de David semblent évoluer dans le roman - les adultes n’ont jamais l’air de vieillir, mais demeurent fidèles à eux mêmes.



En tout cas, moi j’ai un peu évolué depuis l’enfance, et maintenant que je suis grande, non seulement je suis capable de comprendre les histoires de dettes, de lois, de droit, tout ça, mais en plus je vois du sexe là où je ne voyais que concordance parfaite entre les êtres. David et Steerforth n’auraient-ils pas une attirance homosexuelle l’un à l’égard de l’autre? Et l’oncle Peggotty entretient-il un amour tout à fait pur pour sa nièce Emily? La façon dont il parcourt le pays pour la retrouver, tel un Rochester enfiévré recherchant sa Jane, nous laisse penser le contraire. Et la pauvre Agnès, la «soeur», «l’ange», n’a-t-elle pas envie de se révéler comme être sexué? Dora n’est-elle pas l’incarnation de la propre mère de Davis?

Sachez le: David Copperfield, c’est chaud.


En relisant Dickens, j’ai dépassé la simple intrigue pour découvrir son inquiétante étrangeté, son humour, ses personnages légèrement difformes. J’ai trouvé un nouveau livre en David Copperfield, et pour cela je vais faire une petite danse de la joie dans mon salon.



PS: Oui, je sais que mes images n'ont aucun rapport avec mon texte. Mais l'important est qu'elles aient un rapport avec le roman? Non?


vendredi 22 janvier 2010

Bilbo le Hobbit (The Hobbit) - J.R.R Tolkien - 1937




Avertissement: je défends l’idée selon laquelle Bilbo le Hobit est indépendant du Seigneur des Anneaux (SDA pour les intimes)(les intimes geek), mais bien sûr je glisse par ci et par là des références obscures. Ne vous laissez pas décourager pour si peu.


Bilbo le Hobbit peut être lu comme une introduction au Seigneur des Anneaux. C’est l’histoire des aventures de Bilbo, l’oncle de Frodon, auquel la trilogie fait souvent référence. Certains personnages du Seigneur des Anneaux sont déjà présents: Elrond, Gandalf ; et la géographie de la Terre du Milieu est déjà dessinée. On apprend dans ce récit la façon dont Bilbo s’est emparé de l’anneau et l’a arraché à Gollum, et en cela, il peut certainement être vu comme le point de départ de la trilogie. De plus, les deux livres ont une structure similaire: il s’agit de l’histoire d’un aller et d’un retour


Mais ce livre vaut en lui même je pense : il raconte comment Bilbo est arraché à son terrier de la Comté contre son gré, pour aider une rimbambelle de nains (Thorin, Balin, Bifur, Bofur, Bombur, Dwalin, Gloin, Oin, Dori, Nori, Ori, Fili et Kili) à retrouver leur trésor, qui leur a été volé il y a maintes années par un vilain dragon.

Petite parenthèse: vous vous rappelez, au tout début du premier film, Frodon adresse à Gandalf un mini reproche: Gandlaf serait synonyme d’ennui pour les hobbits. Gandalf lui répond que s’il faisait allusion à l’histoire avec le dragon, il y était pour très peu de chose. Vous savez quoi? Ce n’est pas vrai.


C’est un récit d’aventure pure et dure, palpitante, allant de rebondissement en rebondissement, de surprise en surprise et qui ne se pose jamais. Nos petits êtres se font enfermer dans des tonneaux, poursuivre par des loups, taquinER par des gobelins, chatouillER par des araignées géantes (des copines d’Arachne?), attaquER par des hommes. Mais l’aventure n’est pas seulement synonyme de grosse baston, et peut aussi être plus intellectuelle, comme dans le duel de devinettes auquel se livrent Bilbo et Gollum (on pourrait les soumettre à Carambar, qui devient de moins en moins drôle). L’action ne cesse jamais et tout semble se suivre en des séquences juxtaposées: chaque chapitre possède une aventure marquante, différente, avec un début, un milieu et une fin. On comprend comment ce livre est fait pour être lu (ou chanté, car il y a beaucoup de chansons) à un enfant chaque soir, petit bout par petit bout.


Car il faut bien le dire: même si beaucoup d’éléments annoncent le SDA, le ton et le style diffèrent du tout au tout et on sent que c’est un livre pour enfant. Le narrateur a un ton très tendre, souvent amusé, et regarde les aventures avec distance. Il a l’air si peu inquiet pour Bilbo et ses amis nains, que l’on sait que tout va bien se finir. Bilbo le Hobbit est presque un conte, et ce sentiment est renforcé par le côté un peu archaïsant de la langue (c’est charmant!): on sent que cela se passe dans un temps révolu, et qu’on nous narre le parcours d’un héros.


C’est une petite histoire qui se présente comme telle, ce qui est assez paradoxal puisqu’elle fait l’objet de tout un livre. Petite, donc, non pas en soi, mais par rapport à la grande histoire censée se dérouler en arrière plan et qui envahit parfois l’intrigue. Il y a toujours des références à des choses qui se passent ailleurs mais que le narrateur ne prend pas le temps de développer ; Gandalf disparaît souvent mystérieusement pour aller s’occuper de ses petites affaires alors qu’on a l’impression d’être au coeur de l’action. Ceci laisse présager que des choses graves se déroulent ailleurs, et ramène l’histoire à ses justes proportions: il s’agit juste d’une bande nains accompagnée d’un hobbit, qui veut reprendre son trésor.



Un changement survient lors du combat des cinq armées qui clôt le livre, où le ton se fait plus ample, plus épique, et presque shakespearien (ouais). Le récit prend de toutes autres proportions, et s’intègre à la grande histoire. C’est là qu’intervient un Héros bien traditionnel, tel qu’on les imagine, incarné par un homme. Car si le hobbit est héroïque, est-il un Héros pour autant? Ce petit être modeste qui n’aspire qu’à rentrer chez lui et à enfiler ses pantoufles.


C’est une image : même au coeur de la montagne du destin, un hobbit reste pieds (poilus) nus.



J’hésite à le qualifier d’anti héros car même s’il manque singulièrement de glamour et traîne un peu des pieds (poilus et nus) au départ, il fait très vite montre de courage, d’astuce, d’intelligence, de débrouillardise et c’est toujours lui qui sauve ses amis. Il est différent du bon vieux héros épique en ce qui se bat non pas physiquement mais avec ses petites cellules grises. Ce livre pose plein de questions sur l’héroïsme: est-ce le fait de chercher l’aventure? de savoir faire face à une situation? d’aller contre son confort parce qu’on y est obligé?


En tout cas, il s’agit d’un héros ambigu, et qui a un regard mitigé sur son aventure, qui l’emplit d’amertume, l’exclut de sa société (alors qu’un héros s’y (ré)intègre en principe) mais qui le transforme : une partie de lui demeure en Terre du milieu. On voit très bien ceci dans le SDA, où on voit un Bilbo nostalgique qui entreprend d’écrire son récit, puis de repartir sur les lieux de son aventure. Il y a une petite incohérence d’ailleurs: on ne comprend pas pourquoi il n’est pas le narrateur à la première personne de Bilbo le Hobbit.


Un livre assez plaisant donc, qui se laisse lire sans rien exiger du lecteur, qui nous introduit à un univers riche, magique et coloré même s’il est moins fouillé que le SDA. Il est destiné aux enfants, mais ne paraîtra pas trop simple aux grands. Il s’agit d’un grand classique de la littérature fantasy qui est lu depuis plus de soixante ans - même si la fantasy n’est pas votre truc, vous devriez être ravi du voyage.


Bonus: il semble qu’un film est en cours de préparation, avec Guillermo Del Toro aux commandes - il devrait sortir en 2012. Bonne nouvelle, on y retrouve Hugo Weaving dans le rôle d’Elrond, Andy Serkis dans celui de Gollum, et Ian Mc Kellen en Gandalf. Moi qui suis nostalgique de mon Seigneur des Anneaux annuel, je suis ravie! Je pense que ce film suivra la même esthétique que la trilogie; il n’y a qu’à voir les images.



samedi 16 janvier 2010

Bright Star - Jane Campion - 2009


« A thing of beauty is a joy forever.»


Et en effet, ce film est une joie qui demeure.

Il ne s’agit pas d’une biographie de Keats, mais de son histoire d’amour avec sa jeune voisine: Fanny Brawne. Tout semble les séparer: elle vient d’une famille aisée, n’entend rien à la poésie et s’épanouit dans ce travail domestique et trivial qu’est la couture - la demoiselle est une fashion victim, une belle des bals et une femme moderne.




John Keats est un jeune poète désargenté qui dépend de la générosité de ses amis, se fait assassiner par la critique, et n’arrive plus à écrire.


Ils vont pourtant s’aimer, avec toute la force d’un premier amour, et c’est cet amour q ui va inspirer à Keats ses plus grands poèmes. La force du film tient à ce que cette poésie n’est pas clamée, soulignée et mise en relief en tant que chose écrite, mais au contraire: la poésie de Keats est distillée dans chaque plan et va de soi, ainsi que les feuilles viennent à l’arbre, comme Keats le revendique. Il y a un lien naturel entre la poésie et la vie, et en effet, le film de Jane Campion est tout entier inscrit dans la nature, dans les saisons qui passent. Il y a deux plans magnifiques qui se répondent: quand on voit Keats allongé sur la cime des arbres, puis quelques scènes plus loin, quand une rime se produit avec Fanny Brawne assise parmi les bleuets.




Chaque plan est magnifique, fait sens et pourrait constituer un tableau. La dimension très domestique du film - avec les enfants qui jouent, le chat, les travaux de couture - fait beaucoup penser à Vermeer par exemple. Les scènes dans la nature rappellent fortement les impressionnistes aussi. Maintenant on a reproché à Jane Campion d’être académique - comme si le beau était académique.

La dimension domestique du film, l’intimité du quotidien, rend l’amour entre les deux j eunes gens très présent - j’ai trouvé ce film à la fois vibrant, sensuel, et subtil, pudique. Un simple contact de deux mains , le bruit d’une respiration, les paumes appliquées à une cloison, tout cela donne le frisson - et Keats et Fanny Brawne semblent fous de bonheur quand leurs doigts sont simplement entrelacés. Le film n’a pas besoin d’en montrer plus pour exprimer leur amour. D’ailleurs, j’ai remarqué que la musique était très peu présente. On a reproché à ce film d’être froid: j’ai ressenti tout le contraire.


Je n’ai parlé que de Keats et de Fanny Brawne, mais il faut savoir qu’une autre perso nne est présente et s’immisce dans leur couple: c’est l’ami de Keats, Brown. Bright Star est en réalité l’histoire d’un ménage à trois. Une homosexualité latente existe entre les deux hommes: Brown est très possessif, jaloux de Fanny Brawn, qu’il considère comme une coquette, une séductrice qui détourne son ami de la Poésie (et de lui-même), et leur inimitié donne lieu à des scènes de piques, de petites méchancetés assez savoureuses. Mais une carte de Saint Valentin, assassine, révèle pourtant des sentiments plus ambigus. Il semble désirer ce que l’homme qu’il désire désire.

Une source de ravissement du film vient des personnages secondaires - les enfants notamment, ces deux petits êtres aux airs de lutins, qui tiennent lieu à la fois de chaperons et d’anges gardiens. Le film s’inscrit dans l’enfance, une enfance qui parait éternelle par le caractère juvénile de l’amour, mais aussi à cause de l’intuition qu’a Keats de sa mort prochaine, alors qu’il n’a pas vingt cinq ans. Le passage des saisons, alors qu’il donne lieu à de superbes scènes dans la nature, est également fatal pour Keats.



C’est pourquoi la petite Toots rejette une feuille d’automne, car celle ci annonce l’arrivée de l’hiver auquel Keats n’est pas censé survivre s’il demeure en Angleterre. La beauté du film et la force de la passion tiennent à la brièveté de la vie de Keats, telle celle des papillons que Fanny Brawne garde dans sa chambre.


"I almost wish we were butterflies and liv'd but three summer days - three such days with you I could fill with more delight than fifty common years could ever contain."

«Je rêve que nous soyons des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été. Avec vous, ces trois jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire.»


Un film à voir absolument, non seulement parce qu’il fait honneur à la poésie de Keats, mais parce qu’il est poème. Bright Star est d’une rare beauté à chaque instant, et à cela s’ajoute la beauté de la langue, des vers de Keats qui sont une véritable musique, et que l’on goûtera même si on n’est pas anglophone. A ce sujet, le générique de fin est un des plus beaux moments de tous. Je n’en dis pas plus, pour vous laisser la surprise.

Et aussi, chose très importante, mention spéciale au chat, qui mériterait l’Oscar du m eilleur acteur dans un second rôle. On dirait vraiment qu’un script a été écrit pour lui, tant il s’inscrit naturellement dans les scènes du film. Il y a un moment où il est installé sur les genoux de Fanny Brawne pendant qu’elle lit, et il semble lire avec elle. Dans La Nuit américaine, François Truffaut demandait qu’on lui apporte un chat qui sache tourner - il aurait été comblé avec Tobber (c’est son nom).



L'avis d'Ys, aussi favorable que moi, et aussi Yohan, moins conquis, et celui de Gio, enthousiaste! Rob en parle très bien aussi.

jeudi 7 janvier 2010

Au Coeur des ténèbres (Heart of Darkness) - Joseph Conrad - 1899


Le livre nous mène à l’aventure dans un monde étrange et exotique dès les premières pages qui se déroulent à Londres au XIXè siècle.

(J’ai utilisé Londres et exotique dans la même phrase !)

En effet, la Tamise est comparée au fleuve Congo, sur lequel Marlowe navigue plus tard dans le roman. On se rend compte que l’Angleterre fut une contrée sauvage, inexplorée et inconnue il fut un temps, avant l’arrivée des colonisateurs, à l’égal des terres mystérieuses de l’Afrique. Et là, quelque chose de magique se produit : notre vision de Londres se rembobine, comme à la fin de Gatsby le Magnifique où l’on voit les rivages de l’Amérique tels qu’ils sont apparus aux premiers colons, et peu à peu émergent des forêts, un fleuve tourmenté, des sauvages hirsutes qui effacent les immeubles bourgeois, 221B Baker Street, le Prince Charles. On glisse ainsi insensiblement de Londres vers le Congo.

Au cœur des ténèbres raconte comment un homme part à la recherche d’un autre dans une contrée qui lui est irréductiblement mystérieuse, qui le trouble et l’hypnotise. C’est elle le personnage principal de l’histoire, cette jungle congolaise que l’on perçoit à travers les yeux hallucinés de Marlowe dans sa remontée du fleuve pour trouver Kurtz. Sa vision se noie dans le brouillard, l’obscurité, l’enchevêtrement sensuel de la végétation dans lequel on perçoit de temps à autre d’absurdes tâches de couleur. Le mystère de cette jungle tient aussi aux êtres qui l’habitent, qui n’ont pas encore été réduits en esclavage. On entend leurs cris, leurs chuchotements. A moins qu’il ne s’agisse des bruits de la jungle ? On ne sait pas bien. Ils sont l’étrangeté absolue aux yeux de Marlowe qui adopte une attitude ambiguë à leur égard, entre empathie et méfiance.
De la à traiter Conrad de raciste, il n’y a qu’un pas, qui a été franchi notamment par l’écrivain Chinua Achebe. Mais comme d’habitude, c’est compliqué :
Au Coeur des ténèbres nous montre comment on regarde l’autre. En réalité, tout le monde est dans la même folie - les ténèbres, vous l’aurez compris, sont aussi celles de l’esprit humain.

L’être le plus mystérieux d’entre tous est Kurtz, l’officier qui s’est enfoncé au plus profond de la jungle dans l’inconnu, et dont la rumeur affirme qu’il est malade. Kurtz n’apparaît qu’à la fin, mais il hante et fascine les personnages: érigé au rang de légende vivante, il est l’objet de toutes les interrogations. L’image de Kurtz qui demeure, c’est celle de l’homme qui a voyagé au bout de la nuit et qui a atteint le point de non retour, le demi dieu païen au seuil de la mort qui murmure «the horror, the horror».

A ce sujet, cette expression est souvent reprise dans le langage courant en anglais. J’en veux pour preuve l’épisode 19 de la deuxième saison du «Big Bang Theory», intitulé «The Dead Hooker Juxtaposition», où Sheldon Cooper interprète ces paroles de façon magistrale.

Grâce à ce livre vous allez frissonner, que dis-je ! trembler, tressaillir de tout votre être et tout votre corps face à la noirceur insoupçonnée du cœur humain, y compris le vôtre. Peut-être bien que, l’angoisse vous prenant a la gorge, ne saurez vous retenir un cri, pensant qu’il vous sortira de ce cauchemar junglesque. Mais souvenez vous : au cœur des ténèbres, personne ne vous entend hurler. (une référence à Alien se cache dans ce paragraphe, sauras-tu la retrouver ami lecteur?)

Il faut bien sûr parler du film qu’en a tiré Francis Ford Coppola, avec Apocalypse Now. Beaucoup de libertés ont été prises, notamment celle de transposer l’intrigue au Vietnam: le capitaine Willard (Martin Sheen) est chargé par ses supérieurs de trouver et d’exécuter le colonel Kurtz (Marlon Brando), devenu fou, dont le comportement échappe à tout contrôle, et dont les méthodes sont estimées dangereuses. Coppola interprète l’oeuvre de Conrad de façon à évoquer la folie et les horreurs de la guerre.

Coppola déclare au Festival de Cannes en 1979:

« Apocalypse Now n'est pas un film sur le Viêt Nam, c'est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu'étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d'argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous »

Vous venez faire un tour chez les fous?



(billet importé de mon ancien blog et remasterisé)

lundi 4 janvier 2010

Sept voeux


Chers amis, je vous présente mes voeux pour cette année - un peu tardivement certes, mais il semble que ça marche jusqu’au 31 janvier. Et dans certains cas jusqu’en mars - vous voyez donc qu’on en est encore loin.

Parce que je ne suis pas douée pour joliment exprimer tout le bien que je vous souhaite, je laisse parler le Grand Jacques.

"Je vous souhaite des rêves à n'en plus finir, et l'envie furieuse d'en réaliser quelques-uns. Je vous souhaite d'aimer ce qu'il faut aimer, et d'oublier ce qu'il faut oublier. Je vous souhaite de résister à l'enlisement, à l'indifférence, aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite surtout d'être vous."

Etre soi - c’est ce que je nous souhaite.





Maintenant, parlons livres, et parlons concrètement.

A l’image d’Erzébeth avec ses anti-voeux, je ne parlerai pas de mes résolutions, vous savez, ces résolutions qui nous regardent de leurs petits yeux méprisants et accusateurs toute l’année (à l’adresse de Résolution: je-ne-te-vois-pas-!).

Je vous parlerai plutôt des voeux que je m’adresse à moi-même, et qui se glisseront peut-être dans vos listes.

Cette année, je veux

1. réussir à ranger ma bibliothèque. Avant, je rangeais par pays, et à l’intérieur, dans l’ordre chronologique. Je séparais romans, théâtre, poésie et essais. Mais l’ennui: on fait quoi de T.S Eliot: Etats Unis ou Royaume Uni? Et Kundera: République Tchèque ou France? et Beckett: Irlande ou France? Et Nabokov..? Et on fait quoi de The Golden Gate de Vikram Seth, qui est un roman en vers? Ou de Chêne et Chien de Queneau, qui est une autobiograhie en vers?

La vie est une jungle.

Et je ne veux pas entendre parler de l’ordre alphabétique: ça me perturbe, ça ne me paraît pas logique et ça me fait mal de voir Beigbeder à côté de Beauvoir.

En 2009, j’ai gardé la classification par pays, mais j’ai tout chamboulé en réunissant romans, théâtre et poésie, estimant qu’ils font partie du même courant de pensée. J’ai supprimé l’ordre chronologique pour instaurer l’ordre anarchique : ça me plaît beaucoup de retomber par hasard sur des livres oubliés quand je pars à la recherche d’un titre.

Cette année, je pense établir un ordre analogique: Thackeray à côté de Charlotte Brontë, c’est déjà mieux (ils s’admiraient beaucoup), et j’aimerais voir Rushdie aux côtés de Dickens, duquel il s’est fortement inspiré. Et il faudrait que je fasse quelque chose pour la classification par pays. Ou pas, tenez.


Je pense qu’on peut devenir fou pour moins que ça.


2. J’ai envie de relire des livres. Quand j’étais petite, je pouvais relire dix fois le même livre sans me lasser, mais maintenant je suis sans cesse à la recherche du nouveau. Or, je suis persuadée qu’un même livre peut être tout nouveau quand on le relit plusieurs années après, éclairé par la Maturité. J’ai envie de relire tous les Jules Verne, Michel Tournier, Moby Dick, Charles Dickens, Emily Brontë, Sherlock Holmes.


3. J’ai envie de vous rencontrer, amis de l’internet mondial. Vous êtes plusieurs que je connais depuis longtemps et que je suis de façon plus ou moins régulière suivant les périodes, et iI y en a aussi parmi vous dont je viens de découvrir l’existence et qui m'intriguent. Vous êtes des personnes que je trouve intelligentes, drôles, sympathiques, intéressantes, et fort recommandables. Aussi, je compte profiter des rencontres pour enfin mettre un visage sur vos mots. Parce que crotte, ya pas que les livres dans la vie.


4. J’ai envie de trouver mon style de lectrice. Il y a des gens comme ça, qui lisent de tout mais qui ont des personnalités bien définies: certains aiment la littérature russe et allemande, d’autres la littérature victorienne, d’autres recherchent encore une littérature de la décadence, et certains apprécient la science fiction et l’aventure et les sexy men. D’autres la préfèrent avec du champagne et certains l’aiment grave.

Ce que j’envie à ces personnes (et certaines se reconnaîtront), c’est leur connaissance approfondie d’un domaine particulier. Moi, je picore un peu partout et du coup, j’ai une vision globale de la chose, mais un peu superficielle. Mon seul critère en littérature, ce que ce soit bien, ce qui est un peu léger.

Donc ce que je demande à 2010, c’est de me donner une personnalité en tant que lectrice.


5. Et c’est là que je me contredis peut-être un peu: je veux sortir de la littérature française et anglophone, pour découvrir d’autres rivages: russe et allemande, et italienne, et indienne.

Et aussi lire d’autres genres: le policier, la science fiction, la fantasy, la BD. Aller du côté des «mauvais genres» et m’encanailler un peu.

Je veux continuer à être surprise et émerveillée.


6. Je veux une bibliothèque colorée, exubérante, aux couvertures hétéroclites, avec des rangées de livres aux lignes irrégulières. Avec des livres achetés, empruntés, offerts, récupérés, trouvés, retrouvés. Je veux des livres qui viennent d’endroits improbables, achetés en voyage. Des livres qui aient une histoire.


7. Je veux la saison 3 de Merlin. Si si, il y a un rapport avec la littérature: c’est inspiré du livre du Graal.


Bonne année à tous!





Photos trouvées sur le blog de Souvenirs